Québec encadre l’usage des pesticides «néonics»

Exit l’utilisation tous azimuts des néonicotinoïdes, ces pesticides « tueurs d’abeilles ». À l’instar d’un citoyen ayant besoin de médicaments, les producteurs agricoles devront bientôt obtenir une « prescription » de la part d’un agronome pour utiliser cinq des pesticides considérés comme les plus dangereux pour la santé humaine et l’environnement.
Sans les interdire, Québec confirme ainsi de nouvelles restrictions sur l’utilisation des trois néonicotinoïdes les plus courants, ainsi que l’atrazine et le chlorpyrifos.
La ministre du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MDDELCC), Isabelle Melançon, doit en faire l’annonce lundi. Elle sera en compagnie d’agronomes, d’apiculteurs et d’environnementalistes, des personnes susceptibles de faire partie d’un comité de suivi, qui sera créé dans la foulée de ces modifications réglementaires.
L’été 2018 sera dans les faits la dernière saison où les semences enrobées de pesticides de type « néonics », l’une des cibles principales énoncées par le ministère, pourront être utilisées sans devoir obtenir le feu vert préalable d’un agronome.
Ce type de grains est devenu la norme au Québec, la quasi-totalité du maïs et plus de la moitié du soya de la province étant prétraitées avec ces produits, selon l’Ordre des agronomes du Québec. Or, un consensus scientifique sur les effets délétères des néonicotinoïdes sur les abeilles domestiques a émergé ces dernières années.
Biodiversité menacée
Les pollinisateurs domestiques ne seraient en outre que des lanceurs d’alerte puisque la recherche scientifique récente indique aussi que ces pesticides sont toxiques pour une foule d’invertébrés. Ils constituent une « sérieuse menace mondiale pour l’ensemble de la biodiversité », plaide le Groupe de travail sur les pesticides systémiques, qui a passé en revue plus de 500 études.
La Fédération des apiculteurs du Québec s’est dite « extrêmement contente » de l’annonce du gouvernement. « Ce n’est pas du tout un combat contre les agriculteurs, mais ce resserrement était vraiment nécessaire pour les apiculteurs », a spécifié son nouveau président, Stéphane Leclerc, dimanche soir.
Il admet qu’il y avait « énormément de pression sur les épaules de la Fédération », pression qui a amené Léo Buteau à démissionner le mois dernier, après huit ans à la tête de l’organisme.
La ministre Isabelle Melançon dit quant à elle avoir « bon espoir d’obtenir de cette façon une réduction significative de l’utilisation des pesticides les plus à risque au Québec ».
« Apparence de conflit d’intérêts »
« C’est contraire à toute logique d’utiliser les néonicotinoïdes à une aussi grande échelle. C’est comme donner des antibiotiques en continu à quelqu’un, de peur qu’il attrape une bactérie », insiste Louise Hénault-Éthier, chef des projets scientifiques à la Fondation David-Suzuki.
Elle espère toutefois que « les prescriptions ne deviennent pas la norme », plusieurs agronomes étant liés à l’industrie des pesticides selon elle.
Une critique formulée également par l’Union des producteurs agricoles (UPA). « La prescription n’est donc pas une panacée, d’autant plus que la majorité des vendeurs de pesticides sont des agronomes », reconnaît l’organisme par la voix de son porte-parole, Patrice Juneau.
Le MDDELCC reconnaît lui aussi cet enjeu, promettant de « documenter la problématique de l’indépendance professionnelle des agronomes ». Le ministère a cependant rejeté la suggestion des groupes environnementaux de déléguer ce travail uniquement aux agronomes indépendants, comme c’est le cas en Ontario, ce qui aurait permis d’éclipser « toute apparence de conflit d’intérêts, avéré ou non », souligne Mme Hénault-Éthier.
La critique la plus virulente à ces modifications vient des Producteurs de grains du Québec (PGQ), dont le chiffre d’affaires de 1,3 milliard de dollars est notamment lié aux semences traitées aux néonicotinoïdes.
Les PGQ avaient plutôt proposé d’intégrer la gestion des pesticides à risque dans le Plan agroenvironnemental de fertilisation, déjà signé en amont par un agronome.
« L’adoption de ce projet de réglementation ferait augmenter les coûts directs et diminuer la productivité », écrivait Christian Overbeek, président des PGQ, dans une lettre adressée aux députés provinciaux la semaine dernière.
Les rendements agricoles ne seraient pourtant affectés que dans 5 à 10 % des cas, selon des études réalisées par le Centre de recherche sur les grains (CÉROM), dont le conseil d’administration est également présidé par M. Overbeek. Des modèles prédictifs ont aussi été élaborés par le CÉROM pour éclairer la décision des producteurs selon le niveau de risque dans les champs.
Québec compte investir 14 millions de dollars pour en arriver à réduire l’utilisation de ces pesticides et faciliter l’adaptation à ces nouvelles mesures, rappelle le communiqué diffusé par la ministre Melançon.
Pour une stratégie globale
Outre ces substances, l’utilisation de l’atrazine devra aussi — dès le mois prochain — être autorisée par un agronome. Le chlorpyrifos suivra ensuite le 1er avril 2019.
L’atrazine est interdit depuis 2004 en Europe. Cet herbicide a été retrouvé dans l’eau potable de plusieurs grandes villes canadiennes, notamment à Montréal et à Toronto, ainsi que dans plusieurs cours d’eau.
« Plus de 15 ans après l’interdiction en France, on retrouve encore de l’atrazine dans les eaux souterraines et le lait maternel », cite par exemple Mme Hénault-Éthier. Une situation qui démontre l’urgence d’agir, alors que ces substances chimiques se retrouvent partout dans l’environnement et dans nos corps, dit-elle. « Ces règles sont un minimum absolu, qui aurait dû être fait il y a longtemps. »
Le grand oublié de cette stratégie demeure le glyphosate, principe actif de 44 % des ventes de pesticides au Québec. Des ventes qui pourraient continuer d’augmenter si l’atrazine est tout simplement remplacé par le glyphosate, fait remarquer la scientifique de la Fondation David-Suzuki. « Il y a des moyens de faire autrement, il faut investir pour trouver de meilleures pratiques et réduire la pression sur nos écosystèmes. »