Comment sauver le goût du café?

Premier producteur et exportateur mondial de café, le Brésil n'est pas épargné par le réchauffement climatique. 
Photo: Mauro Pimentel Agence France-Presse Premier producteur et exportateur mondial de café, le Brésil n'est pas épargné par le réchauffement climatique. 

Le réchauffement climatique n’épargne pas les caféiers. Comment adapter ces arbustes fragiles au changement tout en préservant les arômes de la boisson ? La création de nouvelles variétés constitue une partie de la réponse.

Le petit noir qui donne des couleurs à nos matins ne sera probablement plus le même dans quelques dizaines d’années. Des pronostics alarmants se multiplient : les changements climatiques menacent la précieuse graine. Industriels et scientifiques se mobilisent pour adapter le caféier à ces nouvelles conditions de vie. Avec une mission cruciale : sauver les saveurs fines des arabicas.

Selon le Climate Institute australien, la surface des terres adaptées à la caféiculture pourrait être réduite de moitié d’ici à 2050 et les caféiers sauvages risqueraient de disparaître vers 2080. Une étude des Jardins botaniques royaux de Kew montre qu’en Éthiopie, pays d’origine du café et cinquième producteur mondial d’arabica, près de 60 % des zones de production pourraient devenir incultivables d’ici à la fin du siècle.

Si les caféiers sauvages disparaissent, une grande diversité génétique sera perdue, notamment pour le développement de nouvelles variétés.

 

Arbuste sensible

Le caféier est un arbuste fragile et peu de dérèglements suffisent pour que la qualité et la quantité de la récolte en pâtissent. Le café arabica, originaire des hauts plateaux éthiopiens, se sent bien entre 800 et 2100 m d’altitude, à des températures entre 18 et 22 degrés avec une certaine alternance de périodes sèches et humides.

Le robusta, plus résistant, comme son nom l’indique, est cultivé dans des zones tropicales jusqu’à 800 mètres d’altitude. Il supporte mieux que l’arabica les températures élevées mais est plus sensible à la sécheresse.

« Les températures au-dessus de 24 degrés et la sécheresse n’affectent pas seulement la qualité du café, elles facilitent aussi la propagation de certaines maladies vers les régions qui en étaient épargnées », note William Solano, du Centre de recherches sur l’agriculture tropicale.

Au Costa Rica, la rouille a ainsi grimpé à 1400 mètres d’altitude. En proie à la sécheresse et aux ravageurs, le Brésil, premier producteur et exportateur mondial, a même dû temporairement autoriser cette année l’importation de robusta vietnamien.

Spécialités menacées

 

Avec le réchauffement, le café sera contraint de migrer plus haut. Ce qui pourrait en fait améliorer son goût : « Les arômes et la qualité des arabicas se détériorent dans les endroits trop chauds ou trop secs.

Normalement, les hautes altitudes donnent des meilleurs crus, car la saison de la maturation est plus longue et plus fraîche, note Aaron Davis, l’un des auteurs de l’étude sur l’Éthiopie. Mais lorsque les températures sont trop basses elles influencent le goût de manière négative. »

Malheureusement, plus les caféiers grimperont en altitude, moins ils auront de surface à leur disposition. Surtout, ils devront quitter certaines régions qui ont donné naissance aux arabicas de spécialité, qui se distinguent, comme les vins, par leur terroir.

Ainsi, l’Éthiopie pourrait perdre son café harrar avec des arômes de myrtille, de mûre et de cardamome. À l’échelle plus large, les variétés traditionnelles bourbon, typica et caturra sont menacées à cause de leur sensibilité à la rouille, estime Peter Baker, expert pour l’initiative Coffee Climate.

Au goût de chocolat-artichaut

 

Les entreprises de café prennent la menace au sérieux et investissent dans la création de nouvelles variétés d’arabica, plus résistantes aux aléas climatiques et aux maladies. Plusieurs nouveautés ont déjà vu le jour.

« Au départ, elles ont été moins appréciées sur le plan gustatif, surtout celles issues des croisements avec le timor, hybride naturel d’arabica et de robusta, note le professeur André Charrier, spécialiste de la caféiculture. Depuis, leur qualité s’est beaucoup améliorée. » L’obata tend vers le caramel, la noisette et les fruits secs et iapar59 surprend par son goût de chocolat-artichaut.

L’avenir semble appartenir à la nouvelle génération des hybrides, créés à partir de deux variétés arabica génétiquement éloignées, ce qui assure à la nouvelle plante une vigueur supérieure à celles des parents. Les chercheurs choisissent, d’un côté, les variétés robustes, de l’autre, les caféiers sauvages aux arômes subtils.

Les nouveaux hybrides sont prometteurs au point de concurrencer les pures origines arabica et de figurer parmi les gagnants de la Cup of Excellence pour les cafés de qualité. Le centroaméricano, par exemple, hérite son goût vanillé de la fleur du caféier et développe des arômes de pêche et de cerise.

 

Cartographie des gènes

Le WCR et d’autres instituts de recherche travaillent également sur les croisements de l’arabica avec d’autres espèces de café, comme robusta ou encore stenophylla, originaire de la Sierra Leone, plus résistants à la sécheresse. Mais le goût reste à maîtriser, car le robusta, avec plus de caféine, est généralement de moindre qualité.

Enfin, le déchiffrage des génomes de l’arabica en 2017 et du robusta en 2014 a ouvert de nouvelles perspectives à la recherche en permettant de s’emparer de telle ou telle caractéristique précieuse des deux espèces.

« Cette cartographie précise des gènes va permettre d’identifier, entre autres, les précurseurs clés de goût et d’arôme présents dans le café vert, qui sont à l’origine de la qualité du café à la tasse », commente Pierre Broun, directeur du Centre recherche et développement Nestlé à Tours.

À l’ombre des forêts

Cependant, tous les spécialistes s’accordent : ces nouveautés végétales n’ont aucun sens si rien n’est fait pour protéger l’environnement dans lequel poussent les caféiers.

Plusieurs grands acteurs du secteur, comme Illy, Nestlé et Starbucks, ou encore l’alliance International Coffee Partners qui réunit des groupes européens, dont Lavazza et Tchibo, investissent dans les programmes de développement durable.

L’une des solutions les plus en vue serait l’agroforesterie, ou le retour aux origines du café : « Les meilleurs cafés se développent dans leur environnement naturel, des zones humides à l’ombre des forêts, explique Benoît Bertrand, chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD).

Pour des raisons de rendement, on a commencé à les cultiver en plein soleil. Ce mode intensif stresse encore plus la plante, ce qu’on essaie de compenser en apportant davantage d’engrais… »

Des nuances exquises

 

Le projet européen Breedcafs, dont Benoît Bertrand est responsable, doit permettre de sortir de ce cercle vicieux.

« Notre but est de développer des variétés qui auraient les mêmes performances que les cultures en plein soleil en étant moins friandes en énergie. C’est comme les moteurs des voitures : on cherche à les faire de plus en plus puissants et économes en même temps. »

Au menu : croisements entre des variétés résistantes d’un côté et savoureuses sauvages de l’autre. Comme geisha, dont le nom n’a rien à voir avec le Japon mais avec une montagne éthiopienne, et qui recèle les notes de confiture de goyave ou d’abricot.

Mais tous ces efforts pour sauver le café pourraient devenir caducs si le réchauffement continue, alertent les chercheurs.

 

« Il y a des limites à tout, prévient Benoît Bertrand. Les plantes ne pousseront pas à 50 degrés. La recherche peut accompagner les changements climatiques, mais si l’homme continue à détériorer la planète, nous n’arriverons à sauver ni le café ni les autres espèces. Et même les nouvelles variétés performantes ne nous aideront pas. »

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