La recherche d’or noir déchire le Québec sans l’enrichir

Les entreprises qui détiennent des permis d’exploration pétrolière et gazière ont versé 827 000 $ à l’État québécois l’an dernier pour maintenir leurs droits sur le territoire. Ce montant équivaut à une moyenne de 15 ¢ pour chaque hectare, soit une fraction des revenus que retirent d’autres provinces, a constaté Le Devoir. Ce sont ces permis qui provoquent un affrontement entre Québec et les municipalités, qui affirment qu’ils outrepassent leurs compétences dans l’aménagement du territoire.
Selon les informations inscrites dans le rapport de gestion 2016-2017 du ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles (MERN), les « permis de recherche » de pétrole et de gaz naturel ont généré des revenus annuels de moins d’un million de dollars, et ce, au cours des trois dernières années.
Pour l’année 2016-2017, la vingtaine d’entreprises qui détiennent un total de près de 300 permis d’exploration ont versé un montant de 827 000 $. Si on répartit ce montant sur les 53 225 km2 de permis en vigueur dans la vallée du Saint-Laurent, dans le Bas-Saint-Laurent et en Gaspésie, cela équivaut à une moyenne d’environ 15 $ par kilomètre carré, ou 15 ¢ l’hectare.
Cela signifie que les revenus de l’État québécois n’ont pas progressé depuis que la saga du gaz de schiste a permis de révéler, en 2010, que la majorité des entreprises payaient en moyenne 10 ¢ l’hectare pour conserver leurs droits d’exploration. En 2010-2011, par exemple, Québec avait touché un peu plus de 887 000 $ pour l’ensemble des permis, qui recouvraient alors une superficie de plus de 81 000 km2.
Selon ce qu’a précisé le MERN, le montant de 10 ¢ l’hectare demeure la norme pour les cinq premières années d’un permis. Dès la sixième année, le montant passe à 50 ¢ l’hectare. Tous les permis en vigueur ont d’ailleurs été octroyés il y a plus de cinq ans, mais le gouvernement a repoussé leur échéance, le temps de revoir le cadre réglementaire.
Enchères
Les pétrolières et les gazières paient donc leurs permis d’exploration beaucoup moins cher au Québec que dans les provinces de l’Ouest canadien, où un système de vente aux enchères est en vigueur depuis plusieurs années. Celui-ci rapporte d’ailleurs chaque année des dizaines de millions de dollars.
En Saskatchewan, les « permis d’exploration » ont été vendus pour un prix variant entre 25,25 $ et 170,86 $ l’hectare depuis le début de l’année 2017, selon les données officielles. Pour le seul mois d’octobre, le prix moyen des permis d’exploration a atteint 151 $ l’hectare dans cette province où l’industrie des énergies fossiles est très active, notamment en raison du potentiel pétrolier.
Au Manitoba, le prix minimal des droits exclusifs d’exploration et de production a été de 4,46 $ l’hectare en août dernier. Les entreprises doivent aussi débourser des « frais de location » annuels de 3,50 $ l’hectare et des frais fixes « non remboursables » pour participer aux enchères. Si elles souhaitent prolonger la validité d’un permis d’exploration au-delà des trois années prévues, elles doivent s’engager à réaliser un forage. Une telle disposition n’existe pas au Québec.
En Colombie-Britannique, une province où la recherche de gaz de schiste a connu une croissance importante au cours des dernières années, les enchères rapportent des millions de dollars chaque année. Les permis d’exploration ont été adjugés en septembre à une moyenne de 575,50 $ l’hectare. Dans le cas des régions les plus prometteuses, les prix des permis peuvent parfois atteindre plusieurs milliers de dollars.
Chercheur à l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques, Bertrand Schepper estime que ce système d’enchères est le plus avantageux pour les finances publiques. Selon lui, il aurait permis de générer plus de revenus au Québec, même si ceux-ci auraient été moins élevés qu’ailleurs au pays, puisque le potentiel en hydrocarbures reste à démontrer.
Un tel système aurait surtout permis d’éviter la « crise » actuelle, selon Karel Mayrand, de la Fondation David Suzuki. « Des entreprises ont acheté plusieurs permis, sur de grandes portions du territoire, pour les conserver plusieurs années sans faire de travaux d’exploration. Tout cela parce qu’ils ne sont pas chers. »
Municipalités
Ces droits concédés aux entreprises pétrolières et gazières sont en effet à l’origine d’un affrontement entre le gouvernement Couillard et les 300 municipalités qui souhaitent imposer des règles plus strictes que celles décrétées par Québec pour la protection des sources d’eau potable dans le cadre des forages. Ces permis forcent aussi les municipalités à vivre avec la perspective de projets près des secteurs résidentiels, des écoles et des hôpitaux, comme le prévoient les projets de règlements de mise en oeuvre de la Loi sur les hydrocarbures.
L’Union des municipalités du Québec, qui réclame le retrait de ces projets de règlements, critique d’ailleurs cette omniprésence des permis d’exploration. « Il est certainement discutable que des entreprises puissent “réserver” un terrain pour plus tard et outrepasser ainsi les compétences fondamentales des municipalités dans l’aménagement de leur territoire », souligne son porte-parole, Patrick Lemieux.
La Fédération québécoise des municipalités exige pour sa part le retrait d’une disposition de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme « qui donne la priorité aux permis minier, gazier et pétrolier sur les schémas d’aménagement des MRC, de même que sur les règlements de zonage et de lotissement des municipalités ».
Un des projets de règlements publiés dans la foulée de l’adoption de la Loi sur les hydrocarbures fixe par ailleurs des règles pour la « mise aux enchères » de futurs permis d’exploration. Le hic, c’est que tous les territoires ciblés pour leur potentiel pétrolier ou gazier sont déjà sous permis, certains depuis plus de 10 ans.
Québec n’a toutefois pas l’intention de revoir en profondeur les règles qui régissent les permis en vigueur. Au MERN, on précise qu’« il n’est pas dans les plans du gouvernement de racheter les permis d’exploration de certaines entreprises ou encore de leur verser une compensation pour annuler ces permis ».
L’Association pétrolière et gazière du Québec, qui représente les entreprises du secteur, n’a pas répondu aux questions soumises à trois reprises par Le Devoir.