Le verre, la bête noire du recyclage au Québec

Avec seulement 14 % de recyclage du verre récupéré entre 2012 et 2015, le Québec peine à donner une seconde vie à cette matière qui finit dans des lieux d’enfouissement. Tandis qu’une nouvelle technologie de pointe pour produire du verre recyclé plus pur est testée dans cinq centres de tri de la province, des municipalités tentent de régler le problème en amont, encourageant les citoyens à séparer eux-mêmes le verre des autres matières recyclables.
Dans son Bilan 2015 de la gestion des matières résiduelles au Québec, publié le mois dernier, RECYC-QUÉBEC expliquait ce résultat par « le niveau élevé de contamination du verre en centre de tri ».
« Récupérer pêle-mêle dans les bacs, ce n’était pas la chose à faire », déplore Karel Ménard, directeur du Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets (FCQGED).

Il y a une quinzaine d’années pourtant, les Québécois faisaient le tri eux-mêmes avec les bacs à deux compartiments — un pour le verre, l’autre pour le reste des matières recyclables —, rappelle-t-il. Une méthode « intéressante », mais qui n’encourageait toutefois pas assez le recyclage, reconnaît M. Ménard. « On a récupéré plus [avec le système pêle-mêle], car c’était plus facile pour un citoyen lambda de tout mettre ensemble que de trier lui-même. […] Mais on récupère davantage de matière non désirée. »
En mélangeant verre, papier, carton, plastique et métal, le risque de contamination croisée augmente. « Le verre se brise dans le bac ou dans le transport et contamine les autres matières. Celles-ci contaminent le verre, surtout les matières qui ne devraient pas initialement être recyclées : des capsules de bouteilles, clés, morceaux de céramique ou des jouets », explique Karel Ménard.
D’après lui, la tâche n’en est que plus ardue une fois le tout en centre de tri, souvent réduit en petits morceaux difficiles à identifier, même par les procédés mécaniques. Il croit préférable de penser le recyclage en amont, plutôt que de rattraper le problème en aval.
Les conteneurs, la solution ?
Une opinion que partagent des municipalités de la province, qui ont décidé d’aller de l’avant en offrant aux citoyens une solution pour séparer le verre du reste des matières recyclables.
La ville de Saint-Denis-de-Brompton, en Estrie, a installé en juin 2015 un grand conteneur accessible à tous pour récupérer pots de confiture, bouteilles de vin, et autres contenants de verre du quotidien. Une initiative qui fait ses preuves et gagne en popularité, de l’avis de la secrétaire administrative de la municipalité, Sylvie Giroux. Durant les six premiers mois du projet, 17 tonnes de verre ont été recyclées, contre 34 tonnes pour toute l’année 2016 et 25 tonnes pour les huit premiers mois de 2017.

Saint-Bruno-de-Montarville, dans la banlieue de Montréal, a emboîté le pas en novembre dernier. « Les gens ont joué le jeu, on est rendus à 15 tonnes en moins d’un an », se réjouit Isabelle Bérubé, conseillère municipale affirmant que de plus en plus de personnes utilisent cette solution.
Ces conteneurs, aussi appelés des « cloches », sont utilisés depuis des années en Europe et particulièrement en France, où l’on parle même « d’erreur de recyclage lorsqu’il est question de mélanger le verre avec les autres matières recyclables », soutient M. Ménard. Mais l’initiative lui semble vouée à l’échec au Québec. « L’idée des cloches va se faire clouer au pilori. Ce n’est pas dans la culture québécoise, le citoyen n’est pas habitué de se déplacer pour jeter ses bouteilles de verre », note-t-il à regret.
La municipalité de Saint-Bruno-de-Montarville n’exclut justement pas d’abandonner son conteneur un jour, si les nouvelles technologies appliquées dans certains centres de tri — pour mieux recycler le verre — font leurs preuves. « On n’aura peut-être plus besoin de changer les habitudes à la source, souligne Mme Bérubé. C’est complexe changer un système comme ça dans les habitudes des gens. »
Nouvelle technologie
Cinq centres de tri au Québec ont été équipés ces derniers mois de nouveaux outils de traitement permettant le tri et le nettoyage du verre. « On arrive à avoir entre 95 et 99 % de pureté du verre », affirme Virginie Bussières, directrice des communications pour Éco Entreprises Québec (EEQ), rencontrée par le Devoir au centre de tri de Saint-Paul de Joliette.
D’après Mme Bussières, davantage de verre sera recyclé avec cette nouvelle technologie. « On était à 14 % en 2015, mais actuellement, avec les cinq projets-pilotes, on atteint 25 % de recyclage du verre récupéré. » Ce taux pourrait grimper jusqu’à 54 %, selon elle, lorsque les équipements de tri et de nettoyage du verre dans le nouveau centre de tri des matières recyclables de Montréal seront opérationnels en 2019.
« Le citoyen a des habitudes ; son geste, il le pose déjà. Après, c’est à nous de travailler de notre côté [dans les centres de tri] », estime-t-elle. Le dernier bilan de RECYC-QUEBEC montrait pourtant que le taux d’acheminement des matières résiduelles aux fins de recyclage avait baissé de 5 points de pourcentage entre 2012 et 2015, passant de 59 % à 54 %.

Dès septembre, les établissements sélectionnés entreront officiellement dans la phase de projet-pilote et seront observés pendant 15 mois par un comité d’une douzaine de personnes, acteurs de l’industrie, organismes environnementaux et experts.
« Cette nouvelle technologie c’est beau, mais c’est une démonstration pour l’instant. Il faut valider le procédé avant de dire que c’est un succès », souligne Karel Ménard, membre du comité.
Participant pour s’assurer que la « problématique du verre [puisse] se résorber avec ça », M. Ménard se questionne déjà. « Il faut voir les coûts, on a quand même au Québec plusieurs dizaines de centres de tri, est-ce qu’on va installer [cette technologie] dans tous [les centres] à la fin du projet-pilote, ou juste les grands ? Qui va financer ça après l’essai ? »
Consigner les bouteilles de verre
Pour Karel Ménard, il faudrait revoir tout le processus de recyclage, en incluant une consigne pour les contenants en verre, ce qui existe dans les autres provinces canadiennes, sauf au Québec et au Manitoba.
Les décideurs politiques envisagent cette option depuis des années, sans jamais passer à l’acte. En juin dernier, le gouvernement de Philippe Couillard a promis de moderniser le système de consigne des contenants, qui n’a pas changé depuis plus de 30 ans. Un groupe de recherche doit se pencher sur la question et sur l’enjeu de la collecte sélective, pour présenter des solutions concrètes dès cet automne.