Changements climatiques: ExxonMobil aurait entretenu le doute depuis les années 1980

Si ExxonMobil s’est saisie depuis longtemps en interne des changements climatiques, la pétrolière refusait jusqu'à récemment d’évaluer l’impact financier des politiques pour le limiter.
Photo: Charly Triballeau Archives Agence France-Presse Si ExxonMobil s’est saisie depuis longtemps en interne des changements climatiques, la pétrolière refusait jusqu'à récemment d’évaluer l’impact financier des politiques pour le limiter.

ExxonMobil savait depuis les années 1980 que les changements climatiques étaient réels et causés par des activités humaines, mais a publiquement entretenu le doute sur cette réalité, trompant ainsi ses actionnaires et les citoyens, affirme une étude publiée mercredi.

L’article, paru dans Environmental Research Letters, prolonge une enquête du site InsideClimate News publiée à l’automne 2015, en analysant 187 documents produits par la pétrolière américaine entre 1977 et 2014 : publications scientifiques, documents internes et tribunes payantes dans le New York Times.

Les auteurs, Geoffey Supran et Naomi Oreskes, expliquent s’être lancés dans cette analyse après le démenti opposé par la pétrolière à des articles de presse l’accusant d’avoir occulté des informations sur le réchauffement de la planète.

Nous avons trouvé une contradiction systématique entre ce qu’Exxon disait des changements climatiques dans des cercles privés ou scientifiques et ce que l’entreprise disait au public dans le New York Times.

 

« Nous rejetons manifestement les accusations. [...] Notre entreprise a de manière continue, publique et ouverte cherché et discuté des risques liés aux changements climatiques », avait affirmé le groupe, dirigé de 2006 à 2016 par l’actuel chef de la diplomatie américaine, Rex Tillerson.

La sincérité des informations sur les changements climatiques communiquées par ExxonMobil, qui de longue date a financé des recherches sur le sujet, est au coeur de plusieurs procédures juridiques aux États-Unis.

 

Des enquêtes ont notamment été diligentées par les procureurs des Etats de New York et du Massachusetts et le gendarme américain de la Bourse (Security and Exchange Commission) cherche aussi à savoir si la pétrolière a de bonne foi informé ses actionnaires des risques pour son activité — les énergies fossiles étant responsables de 75 % des émissions de gaz à effet de serre — et s’il a correctement ajusté la valorisation de ses actifs.

« Nous n’avons pas fait une enquête juridique et nous ne sommes pas en mesure de juger si Exxon a enfreint une quelconque loi », a précisé à l’AFP Geoffrey Supran, tout en jugeant ces travaux « pertinents dans le cadre des enquêtes et procès en cours ».

« Contradiction systématique »

Mais sur un plan éthique, Geoffrey Supran et Naomi Orekes, tous deux de l’Université de Harvard, sont catégoriques.

« Nous avons trouvé une contradiction systématique entre ce qu’Exxon disait des changements climatiques dans des cercles privés ou scientifiques et ce que l’entreprise disait au public dans le New York Times », a expliqué à l’AFP Geoffrey Supran.

Les deux chercheurs ont passé au crible 32 documents à usage interne, 53 publications scientifiques ayant été revues par des pairs, 48 autres publications, 18 documents publics et 36 tribunes publiées dans le New York Times.

ExxonMobil a trompé le public.

 

Les auteurs expliquent avoir utilisé ces tribunes, car elles « sont une forme de communication destinée à avoir un impact sur l’opinion publique », alors que les publications scientifiques sont plus confidentielles.

Ils ont établi que 83 % des publications scientifiques et 80 % des documents internes étudiés reconnaissent que les changements climatiques sont « réels et causés par les hommes », lorsque « 81 % des tribunes parues dans le New York Times expriment un doute » à ce sujet.

Ainsi, soulignent-ils, les discussions internes à l’entreprise étaient conformes aux connaissances scientifiques du moment, avec leur lot d’incertitudes, mais les tribunes dans la presse mettaient essentiellement l’accent sur les incertitudes, produisant un discours incohérent avec l’avis de la plupart des scientifiques.

« ExxonMobil a trompé le public », concluent les deux historiens des sciences.

En 1982, la pétrolière évoquait et quantifiait déjà par exemple « le budget carbone », c’est-à-dire les émissions de gaz à effet de serre qu’il ne faut pas dépasser pour limiter la hausse de la température mondiale en deçà de 2 °C et prévenir les impacts les plus dramatiques.

Si ExxonMobil s’est saisie depuis longtemps en interne des changements climatiques, la pétrolière refusait d’évaluer l’impact financier des politiques pour le limiter.

Mais en mai, une nouvelle motion allant dans ce sens a recueilli une majorité de voix parmi ses actionnaires, soucieux d’éviter une brutale dépréciation d’actifs à l’avenir.

« ExxonMobil a cherché à semer le doute sur la cause et l’ampleur des changements climatiques » et « ce seront les investisseurs qui vont payer la note si l’entreprise ne se prépare pas à un futur sans émissions de CO2 », a déclaré à l’AFP Natasha Lamb du fonds Arjuna Capital, l’un des actionnaires à l’origine de la motion.

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