Le sabordage de l’ONE recommandé

L’Office national de l’énergie ne réussit pas le test de la confiance et de la crédibilité, conclut le comité d’experts mandaté par Ottawa pour recommander des solutions afin de moderniser l’organisme. Il propose donc de le démanteler et de le remplacer par une nouvelle structure, mais aussi de réformer l’examen de projets comme les pipelines.
Le plus important d’entre eux, Énergie Est, sera pourtant évalué par l’Office, a réitéré lundi le gouvernement Trudeau.
Dans son rapport intitulé Progresser, ensemble : favoriser l’avenir énergétique propre et sécuritaire du Canada et rendu public lundi, le comité d’experts sur la modernisation de l’Office national de l’énergie (ONE) souligne ainsi que les audiences menées au cours des derniers mois lui ont permis de constater que l’organisme fédéral n’est clairement plus en mesure de mener seul les examens des projets de transport d’énergie.
« Lors de nos consultations, les Canadiens nous ont parlé d’un ONE envers lequel nombre de citoyens et de groupes ont fondamentalement perdu confiance », soulignent les auteurs de ce rapport de près de 400 pages publié lundi par le ministre des Ressources naturelles, Jim Carr.
Les participants aux audiences ont aussi décrit « une organisation qui restreint la participation du public, en particulier depuis que des modifications législatives ont été apportées en 2012, n’explique pas ou ne rend pas de comptes pour plusieurs de ses décisions, et dont le fonctionnement général semble sérieusement manquer de transparence ».
Bref, « le processus d’examen d’un projet d’aujourd’hui est largement perçu comme s’il avait été conçu pour accélérer les décisions en faveur de l’industrie ».
D’ailleurs, constatent les experts, plusieurs « craignent sérieusement que l’ONE ait été “embrigadé” par l’industrie pétrolière et gazière, étant donné que plusieurs membres de l’Office viennent de l’industrie que l’ONE est censé réglementer, et qu’ils semblent, à tout le moins, avoir un parti pris inconditionnel envers cette industrie ».
Le mandat de l’ONE, qui ne prévoit pas l’évaluation des impacts climatiques d’un projet, signifie en outre que les audiences « sont devenues de facto des forums inadéquats » pour débattre des enjeux concernant les politiques énergétiques et celles liées aux changements climatiques.
Au bout du compte, « les audiences de l’ONE ne servent aucun intérêt, et compliquent inutilement le conflit » entre les groupes industriels et les groupes environnementaux, notent les auteurs du rapport.
Démanteler l’ONE
Le comité soumet donc 26 recommandations qui, si elles sont retenues par le gouvernement Trudeau, modifieront en profondeur le processus d’examen des grands projets énergétiques, dont les pipelines.
Le comité propose carrément de remplacer l’ONE par une « commission canadienne sur le transport de l’énergie moderne », qui permettrait d’augmenter « de façon radicale l’échelle et l’étendue de la participation des intervenants concernés pour gagner la confiance des Canadiens et leur offrir de meilleurs résultats ».
Le comité d’experts suggère aussi de revoir le processus devant mener à l’approbation des grands projets. Dans un premier temps, et avant même l’examen détaillé d’un projet, un processus d’un an servirait à « déterminer l’harmonisation de ces projets avec l’intérêt national ». Préciser ce qu’est « l’intérêt national » reviendrait au gouvernement fédéral.
Par la suite, un processus de deux ans s’enclencherait, notamment pour mener « une évaluation environnementale complète » sous l’égide de l’Agence canadienne d’évaluation environnementale et de la Commission canadienne sur le transport de l’énergie.
Actuellement, l’ensemble du processus sous l’égide de l’ONE est limité à 21 mois.
Réagissant à la publication du rapport, le ministre des Ressources naturelles, Jim Carr, a souligné lundi que le gouvernement devrait préciser cet automne de quelle façon il entend moderniser l’ONE. Mais selon lui, le comité d’experts ne recommande pas de démanteler l’Office.
Le ministre libéral a aussi réitéré que l’examen des projets en cours, dont celui du pipeline Énergie Est de TransCanada, se poursuivrait.
Le gouvernement Trudeau a mis en place « des mesures intérimaires » pour l’évaluation de ce projet, a rappelé le ministre Carr, et le gouvernement ne souhaite pas « retourner à la case départ » pour le projet Énergie Est.
L’ONE a d’ailleurs publié la semaine dernière une première liste des questions qui devraient être abordées dans le cadre des audiences sur le plus important projet de pipeline en Amérique du Nord.
Mesures « cosmétiques »
Le groupe Équiterre s’est dit déçu du rapport déposé par le comité, jugeant que « plusieurs des recommandations demeurent vagues quant au fonctionnement de la nouvelle mouture de l’Office qui est proposée ».
« Il faut aller au-delà des changements cosmétiques, a affirmé Steven Guilbeault, directeur principal d’Équiterre. Ce n’est pas en changeant le nom de l’ONE ou en déménageant le siège social de Calgary à Ottawa que l’on va régler les problèmes de cette institution. »
Selon Équiterre, l’idée de déterminer si un projet est « d’intérêt national » avant de mener une évaluation des impacts environnementaux « serait une grave erreur, dans la mesure où des informations névralgiques seraient manquantes pour déterminer “l’intérêt national” d’un projet ».
Le groupe estime aussi qu’il est difficile de juger du « rôle » de l’évaluation environnementale et climatique dans la prise de décision pour un projet.
Greenpeace a pour sa part réitéré lundi que l’évaluation du projet Énergie Est ne peut aller de l’avant sous l’égide de l’ONE. « Le gouvernement Trudeau favorise les pétrolières et va à l’encontre de l’intérêt du public quand il laisse à l’ONE la responsabilité d’évaluer Énergie Est alors que l’organisme n’a plus de crédibilité et n’a plus la confiance de la population », a laissé tomber son porte-parole, Patrick Bonin.
L’ONE donne l’impression d’être insensible, antidémocratique et essentiellement incapable de répondre aux besoins du public.