Pétrolia réclame 200 millions pour renoncer à Anticosti

Le village de Port-Menier sur l’île d’Anticosti
Photo: Pierre Lahoud Le village de Port-Menier sur l’île d’Anticosti

S’il veut mettre fin au contrat qui l’oblige à investir dans le projet d’exploration pétrolière sur l’île d’Anticosti, le gouvernement du Québec devra mettre beaucoup d’argent sur la table. Selon les informations obtenues par Le Devoir, les entreprises Pétrolia et Corridor Resources comptent lui réclamer pas moins de 200 millions de dollars pour renoncer au potentiel hypothétique du sous-sol de l’île.

Le ministre des Finances, Carlos Leitão, a confirmé mercredi que le gouvernement a mandaté deux avocats pour « négocier » la fin du contrat signé en 2014 par le gouvernement péquiste pour créer la Société en commandite Hydrocarbures Anticosti. Selon le ministre, cette décision aurait été prise dans la foulée de l’appui accordé à la municipalité de L’Île-d’Anticosti, qui souhaite que la plus grande île de la province soit inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Le gouvernement Couillard n’a pas précisé quelle pourrait être la compensation financière versée à ses partenaires privés dans le projet, soit Pétrolia et Corridor Resources. « On va en discuter et on verra », a simplement dit le ministre Leitão, ajoutant qu’il souhaitait que le dossier soit réglé avant l’été.

Les coûts risquent toutefois d’être élevés pour l’État québécois. Selon les informations obtenues par Le Devoir, les deux entreprises comptent négocier en réclamant dès le départ un montant de 200 millions de dollars. « Il s’agit de la base de la négociation », a résumé une source. Il faut savoir qu’en vertu du contrat signé en 2014, les 38 permis d’exploration détenus par les deux entreprises — acquis en 2009 pour 10 ¢ l’hectare — ont été cédés à Hydrocarbures Anticosti. Leur valeur totale a alors été fixée à 200 millions de dollars.

Pari risqué

 

Pétrolia et Corridor Resources n’ont pas eu à investir les millions de dollars nécessaires pour réaliser les travaux sur l’île. C’est en fait le gouvernement qui a pris le plus gros du risque financier. Québec a ainsi accepté d’investir 56,7 millions de dollars dans le projet d’exploration alors que la société française Maurel Prom prévoyait injecter 43,3 millions. Cette dernière a cependant négocié une clause de retrait en cours de contrat, ce que le gouvernement n’a pas.

Les travaux totalisant 100 millions de dollars ne sont pas terminés, étant donné qu’un peu plus de 25 millions ont été investis jusqu’à présent. Ils ont en fait pris du retard, puisque trois forages avec fracturation devaient au départ être réalisés en 2016. Ils ont été reportés à l’été 2017. Mais selon ce qu’a appris Le Devoir, Hydrocarbures Anticosti attend toujours une autorisation de Pêches et Océans Canada pour lancer les travaux. Cette autorisation est nécessaire, puisqu’on prévoit de puiser de l’eau dans des rivières de l’île et rejeter les eaux de fracturation dans le golfe du Saint-Laurent, une fois traitées.

Un autre obstacle se dresse contre Hydrocarbures Anticosti : les Innus d’Ekuanitshit. Cette nation autochtone de la Côte-Nord se présentera en cour le 10 avril dans le but de faire annuler les autorisations environnementales accordées par le ministre de l’Environnement, David Heurtel, pour la réalisation des trois forages avec fracturation.

Compensation à venir

Il est donc loin d’être acquis que Pétrolia, opérateur des travaux sur l’île, peut poursuivre le programme d’exploration. Mais il n’est pas étonnant de voir que les entreprises impliquées dans le contrat réclament des compensations financières pour signer la fin du projet, selon ce qu’a expliqué mercredi un avocat bien au fait de ce type de dossier.

Il rappelle ainsi que la minière Strateco a intenté une poursuite contre Québec, en raison du moratoire imposé en 2013 par le gouvernement de Pauline Marois sur la filière uranifère. Elle lui réclame 200 millions de dollars en guise de remboursement des investissements faits sur son projet d’exploration d’uranium.

Dans un autre dossier, l’entreprise américaine Lone Pine Resources a intenté une poursuite de 250 millions de dollars en vertu des dispositions du chapitre onze de l’Accord de libre-échange nord-américain. Elle a lancé ses démarches en 2013, après que le gouvernement Charest eut fait adopter un projet de loi qui annulait les permis d’exploration pétrolière et gazière en vigueur sur les îles du Saint-Laurent.

L’ingénieur en géologie appliquée Marc Durand estime pour sa part que le gouvernement ne devrait pas offrir de compensation à Pétrolia et Corridor Resources. Québec et Maurel Prom « se sont fait leurrer par le lobby de Pétrolia quand on a fixé à 200 millions la valeur des permis d’un gisement qui est à des lieues d’une hypothétique rentabilité ».

Selon lui, « ces permis ne valent pas un sou s’il n’y a aucun gisement économique, comme le démontrent les dernières données disponibles. Il n’y a aucun motif à rembourser à Pétrolia et Corridor des dépenses d’une facture qu’ils n’ont pas eu à assumer ».

Potentiel hypothétique

 

Il est vrai que, malgré des décennies d’exploration, aucun gisement pétrolier ou gazier n’a été découvert sur Anticosti. Même le géant Shell a investi dans des forages dans les années 1990, sans succès. M. Durand estime d’ailleurs que Pétrolia et Corridor Resources ont tout intérêt à mettre fin aux travaux dès maintenant. « Sans les trois forages avec fracturation, on peut toujours prétendre qu’il existe un potentiel pétrolier. »

En revanche, si le potentiel était démontré, le gouvernement se retrouverait partenaire d’un projet d’exploitation de pétrole et de gaz de schiste qui se prolongerait jusqu’en 2100, selon ce qui se dégage de l’évaluation environnementale stratégique commandée par les libéraux. Et le seul coût des infrastructures nécessaires pour l’implantation de l’industrie sur l’île dépasserait les 10 milliards de dollars.

Or, le gouvernement Couillard a promis de réduire notre dépendance aux énergies fossiles, mais aussi les émissions de gaz à effet de serre du Québec. Il s’est également engagé, par écrit, à protéger tout le territoire d’Anticosti d’ici 2020.

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