La candidature d’Anticosti divise les ministères

Le maire de Montréal, Denis Coderre, appuie la démarche de la municipalité d’Anticosti, qui souhaite que l’île soit inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, a appris Le Devoir. Le dossier susciterait toutefois des divergences au sein du gouvernement Couillard, qui devrait décider dès mercredi s’il soutient le projet anticostien.
En entrevue au Devoir lundi en début de soirée, M. Coderre s’est dit « solidaire » de la campagne menée depuis plusieurs mois par la municipalité d’Anticosti. « C’est une excellente idée que j’appuie totalement », a affirmé celui qui préside l’Alliance des villes des Grands Lacs et du Saint-Laurent.
« À Montréal, le mont Mont-Royal est un joyau exceptionnel. C’est la même chose pour l’île d’Anticosti, a-t-il illustré. Donc, par solidarité, comme maire de la métropole, j’appuie mes collègues d’Anticosti. Les gouvernements de proximité, comme les municipalités, ont un rôle à jouer, que ce soit pour le patrimoine de l’UNESCO ou pour les mesures de développement. »
« C’est une question patrimoniale, a ajouté le maire. Il faut poser des gestes concrets. Et pour moi, ça fait partie de la prise en conscience en faveur de la protection de notre patrimoine naturel. » Qui plus est, un appui à une candidature à l’UNESCO fait selon lui partie des gestes « qui ont un rayonnement international ».
Selon ce qu’a laissé entendre Denis Coderre, le gouvernement Couillard devrait donc donner son consentement afin que la municipalité de l’île d’Anticosti puisse transmettre son dossier de candidature à Parcs Canada. « Il faut qu’on passe les premières étapes », a-t-il dit, en ajoutant du même souffle que « la fenêtre d’opportunité est relativement restreinte ».
Il faut dire que le gouvernement fédéral a décidé que les dossiers doivent être transmis au plus tard le 27 janvier, soit ce vendredi.
Débat à Québec
Or, pour le moment, le gouvernement de Philippe Couillard n’a toujours pas donné son accord à Anticosti. Puisque l’État québécois a fait l’acquisition de l’île en 1974, et qu’il en est donc le propriétaire, le gouvernement doit en effet donner son consentement pour que le dossier soit jugé valide.
Selon les informations obtenues par Le Devoir auprès de différentes sources, le dossier de candidature aurait été transmis au conseil des ministres. Il devrait d’ailleurs faire l’objet de discussions dans le cadre du conseil des ministres de ce mercredi, en vue d’une décision.
Toujours selon les informations obtenues auprès de sources bien au fait du dossier, il semblerait que la question suscite des points de vue divergents au sein du gouvernement. Certains seraient pour un consentement de Québec, qui pourrait éventuellement mener à un arrêt du projet d’exploration pétrolière financé en majorité par le gouvernement.
D’autres redouteraient cependant d’éventuelles poursuites de la part des partenaires privés dans la société en commandite Hydrocarbures Anticosti, soit Pétrolia, Corridor Resources et Saint-Aubin. Contactée lundi, l’entreprise Pétrolia n’a toutefois pas souhaité commenter la question d’une éventuelle candidature de l’île d’Anticosti à l’UNESCO.
Depuis que Philippe Couillard a manifesté son opposition à l’exploitation d’énergies fossiles sur l’île, Pétrolia a ouvertement critiqué le premier ministre à plusieurs reprises. L’entreprise, dont Québec est le premier actionnaire, a même évoqué la possibilité d’intenter des poursuites et d’exiger des compensations financières, en cas d’arrêt du projet. En théorie, des forages avec fracturation sont prévus cette année.
Appuis
Au-delà de l’appui offert par le maire Denis Coderre lundi, la municipalité d’Anticosti doit recevoir ce mardi un appui officiel de la part de la CSN, a appris Le Devoir. Un point de presse est même prévu pour annoncer cet appui. Celui-ci doit se tenir à Sept-Îles, en compagnie du maire d’Anticosti, John Pineault, du préfet de la municipalité régionale de comté, Luc Noël, et du chef de la communauté innue de Mingan, Jean-Charles Piétacho.
Selon les informations obtenues lundi, la Fédération québécoise du saumon atlantique a également signifié son appui à la municipalité d’Anticosti. En juillet dernier, l’organisme s’était déjà opposé au prélèvement d’eau dans des rivières à saumon de l’île, en vue des forages avec fracturation autorisés par le gouvernement Couillard.
Pour la municipalité d’Anticosti, qui rendait publique sa candidature la semaine dernière, il ne fait aucun doute que le « dossier scientifique » rédigé au cours des derniers mois est complet et crédible. Selon ce qu’a fait valoir son maire, John Pineault, la plus grande île du Québec se conforme à quatre des 10 critères établis par l’UNESCO, tous liés à des caractéristiques naturelles et culturelles « exceptionnelles ».
D’un point de vue géologique, par exemple, elle est « unique au monde », estime le professeur André Desrochers, du Département des sciences de la terre et de l’environnement de l’Université d’Ottawa. Selon lui, « Anticosti est le meilleur laboratoire naturel pour l’étude de la première extinction de masse du vivant, il y a près de 445 millions d’années ».
« Cette île possède un extraordinaire paysage culturel, des caractéristiques que l’UNESCO cherche également à protéger », constate pour sa part Philippe Poullaouec-Gonidec, directeur de la Chaire UNESCO en paysage et environnement de l’Université de Montréal.
C’est la ministre de l’Environnement du Canada, Catherine McKenna, qui a invité le 8 août dernier le public à soumettre des propositions pour la soumission de noms de prochains sites du patrimoine mondial. Les nouveaux sites du patrimoine mondial de l’UNESCO proposés seront annoncés en 2017 afin de célébrer le 150e anniversaire de la Confédération. Le Canada compte déjà 18 de ces sites, dont le parc national de Miguasha, en Gaspésie.
Pour en savoir plus
Consultez notre dossier Anticosti, seule face au pétrole tout-puissant