Des aires protégées en attente... de protection

Le gouvernement du Québec tarde à attribuer une protection permanente à plus d’une centaine de territoires désignés pour devenir des aires protégées. Certains d’entre eux sont en attente d’un tel statut depuis plusieurs années et sont même exposés à des activités d’exploration minière. Une situation qui contrevient à l’esprit de la Loi sur la conservation du patrimoine naturel, déplore la Société pour la nature et les parcs.
Selon les données compilées par Le Devoir à partir des informations du ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MDDELCC), le Québec compte un total de 101 territoires inscrits comme aire protégée, réserve de biodiversité, écologique ou aquatique « projetée », incluant cinq « réserves » de parc national. Tous ces territoires ont un statut temporaire de protection.
Ces secteurs, répartis dans plusieurs régions, représentent d’ailleurs les deux tiers de la superficie du territoire inscrit au registre des « aires protégées ». Les territoires mis « en réserve » totalisent en effet près de 100 000 km2, sur les quelque 155 000 km2 comptabilisés officiellement comme « aires protégées » dans les calculs du MDDELCC.
Les secteurs mis en réserve en vertu de la Loi sur la conservation du patrimoine naturel ne bénéficient toutefois d’aucune protection permanente. La législation prévoit en effet que « la mise en réserve » de ces territoires soit « d’une durée d’au plus quatre ans », voire six ans, si le gouvernement l’autorise. Ce serait le temps nécessaire pour mener des consultations publiques avant d’attribuer, ou non, un statut de protection permanente.
Longue attente
Le problème, c’est que bon nombre de territoires ciblés pour être définitivement protégés sont en attente d’une telle reconnaissance depuis plusieurs années. À titre d’exemple, sur un bloc de 15 aires protégées « projetées » dès juillet 2005, 14 sont toujours « en réserve ». Pour un autre bloc de 23 territoires recensés en 2008, 21 sont encore aujourd’hui en réserve.
La semaine dernière, le ministre de l’Environnement David Heurtel a aussi publié un arrêté ministériel dans la Gazette officielle afin de prolonger, « pour une durée de huit ans », la mise en réserve de trois territoires recensés comme réserves écologiques projetées. Ceux-ci ont un statut de protection provisoire depuis 2002.
Par ailleurs, même si le gouvernement comptabilise ces territoires dans son décompte des aires protégées, la Loi sur la conservation du patrimoine naturel prévoit que, sous certaines conditions, « les activités d’exploration minière, gazière ou pétrolière » peuvent être autorisées sur les territoires mis en réserve en vue de créer des réserves écologiques, aquatiques ou de biodiversité. De tels travaux pourraient par exemple être autorisés sur deux des trois territoires dont la mise en réserve vient d’être prolongée par le ministre Heurtel, selon ce qu’on peut lire dans le « plan de conservation » élaboré par le MDDELCC.
Contravention
La Société pour la nature et les parcs du Canada, section Québec (SNAP Québec), déplore cette porte ouverte aux « activités industrielles » sur des territoires dont Québec affirme pourtant reconnaître la valeur écologique.
Biologiste et chargé de projet en conservation pour l’organisme, Pier-Olivier Boudreault estime aussi que le gouvernement « contrevient à l’esprit de la Loi sur la conservation du patrimoine naturel ». Il souligne ainsi que cette législation invite clairement à « limiter la mise en réserve à un maximum de six ans ». Qui plus est, « le fait que la majorité des aires protégées au registre aient un statut provisoire indique que le gouvernement abuse de son pouvoir discrétionnaire prévu à la loi ».
Selon M. Boudreault, Québec « contrevient aussi aux directives sur les aires protégées reconnues par l’Union internationale pour la conservation de la nature, qui demandent des aires protégées définies géographiquement et une vision de conservation à long terme ». Or, souligne-t-il, non seulement les territoires simplement mis en réserve ne bénéficient pas d’une protection permanente, mais ils peuvent aussi être modifiés à l’échéance de la mise en réserve.
Au bout du compte, la SNAP Québec dénonce un « manque de volonté politique » de la part du gouvernement, qui a promis de respecter les cibles de la Convention sur la biodiversité signée à Nagoya, au Japon, en 2010. En vertu de cet accord, Québec s’est engagé à porter les aires protégées à 17 % du territoire terrestre en 2020. À l’heure actuelle, 9,33 % du territoire terrestre est constitué d’aires protégées, mais en incluant les 101 territoires qui ne font toujours pas l’objet d’une protection permanente. En 2011, le gouvernement Charest avait pourtant affirmé qu’il dépasserait la « cible » de 12 % dès 2015.
Quant au territoire situé en milieu marin, l’objectif de Nagoya est une protection de 10 % du total d’ici 2020. Mais à peine plus de 1 % est protégé au Québec.
Objectifs respectés
Interpellé par Le Devoir, le gouvernement Couillard a défendu sa stratégie de protection du territoire naturel de la province. « Afin d’atteindre les cibles gouvernementales en matière d’aires protégées, le MDDELCC privilégie le développement du réseau des aires protégées par la mise en réserve de nouveaux territoires, plutôt que la consolidation des réserves projetées existantes par l’octroi d’un statut permanent de protection, a répondu le ministère par courriel. Les aires protégées projetées sont de réelles aires protégées inscrites au registre et sans activités industrielles. Elles contribuent toutes au pourcentage de 9,33 % actuel. »
Dans une autre réponse transmise par la suite, le MDDELCC a toutefois précisé que « toutes les aires protégées projetées deviendront permanentes en vertu du processus prévu à la Loi sur la conservation du patrimoine naturel ». Le gouvernement ne s’est pas fixé d’échéancier en ce sens.
Et même s’il lui reste à peine plus de trois ans pour bonifier substantiellement les aires protégées terrestres et en milieu marin, Québec réaffirme son intention de « respecter les engagements de Nagoya ».
Quelques territoires mis en réserve
Les territoires mis en réserve au fil des ans incluent notamment des lacs, des rivières, des écosystèmes forestiers et des habitats fauniques. Voici quelques exemples.Réserve de biodiversité projetée Albanel-Témiscasmie-Otish: 11 871 km²
Le territoire de cette réserve de biodiversité projetée constitue le pivot hydrographique du centre du Québec et constitue la source des rivières Rupert, Eastmain et La Grande. Ce territoire est représentatif de trois grandes zones de végétation typique du Nord québécois.
Réserve de biodiversité projetée du Domaine-La-Vérendrye: 260 km²
La réserve est entièrement située dans la MRC de La Vallée-de-la-Gatineau. Les lacs et cours d’eau forment près du tiers de la superficie de la réserve. La partie terrestre est principalement occupée par des essences feuillues. On y trouve notamment des peuplements de bouleau jaune, de bouleau blanc, d’érable rouge, d’érable à sucre et de peuplier faux-tremble.
La réserve aquatique projetée de la rivière Moisie: 3897 km²
Elle consiste en un corridor, d’une largeur variant de 6 à 30 km, qui englobe le lit majeur de la rivière Moisie, ainsi qu’une bande importante de son bassin versant immédiat. La Moisie est sans nul doute la plus renommée des rivières à saumon de la Côte-Nord, et ce, en raison du poids moyen élevé (environ 7 kg) des spécimens capturés.
Réserve de biodiversité projetée des Montagnes-Blanches: 959 km²
La réserve de biodiversité projetée se situe principalement dans la région administrative du Saguenay—Lac-Saint-Jean. Une partie de la réserve de biodiversité projetée des Montagnes-Blanches a été identifié comme faisant partie de l’aire d’utilisation intensive globale de l’écotype forestier du caribou des bois.
Réserve aquatique projetée de la rivière George: 7945 km²
Cette rivière symbolique pour les Inuits se déverse dans la baie d'Ungava. Elle doit être protégée sur toute sa longueur.