Après six ans de débats, une loi

L’étendue des permis d’exploration pétrolière et gazière en vigueur au Québec est telle qu’elle recouvre même le territoire de quatre réserves fauniques, révélait cette semaine «Le Devoir». Ici, la réserve des Chic-Chocs, qui s’étend aux limites du parc national de la Gaspésie.
Photo: Alexandre Shields Le Devoir L’étendue des permis d’exploration pétrolière et gazière en vigueur au Québec est telle qu’elle recouvre même le territoire de quatre réserves fauniques, révélait cette semaine «Le Devoir». Ici, la réserve des Chic-Chocs, qui s’étend aux limites du parc national de la Gaspésie.

Après la commission parlementaire sur le projet de loi 106, bouclée en quatre jours cette semaine, le gouvernement Couillard espère sans doute adopter rapidement la première législation censée encadrer les projets pétroliers et gaziers au Québec. Reste que l’industrie est loin de faire l’unanimité, en plus d’avoir encore du travail à faire pour démontrer qu’il existe bel et bien un potentiel d’exploitation d’hydrocarbures dans le sous-sol de la province.

C’était en octobre 2009. Dans un discours très « pro-industrie » prononcé lors du premier congrès de l’Association pétrolière et gazière du Québec (APGQ), la ministre des Ressources naturelles, Nathalie Normandeau, promettait déjà aux entreprises du secteur « une loi plus moderne, plus proactive » pour encadrer l’exploitation du gaz de schiste et du pétrole.

« En fait, ajoutait celle qui était alors vice-première ministre du gouvernement de Jean Charest, on veut mettre de côté la bureaucratie. On veut faciliter votre vie, parce qu’on est bien conscients qu’en facilitant votre vie, on va permettre de créer plus de richesse au Québec. On va vous permettre de déployer vos ailes et, dans ce sens, on souhaite une loi qui nous permette d’être plus efficaces. » Le préjugé favorable envers l’exploitation de gaz de schiste et de pétrole aurait difficilement pu être plus évident.

Preuve supplémentaire que le gouvernement voulait à tout prix « faciliter » la vie aux entreprises gazières, le budget 2009-2010 prévoyait un congé de redevances de cinq ans pour les puits entrés en production avant la fin de 2010. Heureux hasard, puisqu’un puits de gaz de schiste produit, au mieux, pour une période de cinq ans. L’objectif ? « Augmenter les possibilités d’une mise en production dans un avenir rapproché. »

Québec sous permis

 

Il faut dire qu’à ce moment, des dizaines de milliers de kilomètres carrés de la vallée du Saint-Laurent étaient déjà soumis à des permis d’exploration gazière. Des permis acquis pour la plupart entre 2006 et 2009, à la suite des découvertes de gaz de schiste aux États-Unis. Quant au Bas-Saint-Laurent et à la Gaspésie, les permis d’exploration ont été acquis à la même époque, dans la foulée du désengagement du gouvernement Charest de la filiale Pétrole et gaz d’Hydro-Québec, mise sur pied en 2002 par le gouvernement péquiste de Bernard Landry. Fait à noter, d’anciens employés de cette filiale et la défunte Société québécoise d’initiatives pétrolières (SOQUIP) ont aussi fait le saut dans le secteur privé, notamment chez les entreprises qui détiennent encore aujourd’hui des droits d’exploration un peu partout au Québec.

Ces entreprises, les plus connues étant Junex et Pétrolia, ne font que poursuivre une quête de gisements d’énergies fossiles entreprise dès 1860 en Gaspésie. Or, malgré 150 ans de travaux d’exploration, aucun gisement pétrolier n’a été découvert au Québec. Quant au potentiel gazier de la vallée du Saint-Laurent, son ampleur reste à démontrer. Pas étonnant, dans ce contexte, qu’aucune entreprise majeure du secteur ne s’intéresse au Québec.

Industrie vs citoyens

 

Bref, au tournant de 2010, l’industrie des énergies fossiles croyait fermement en ses chances de réussite dans la province. En entrevue au Devoir, le président de l’APGQ, André Caillé — encore aujourd’hui administrateur de Junex —, avait d’ailleurs affiché une grande confiance de voir rapidement un « boom » gazier au Québec. Il évoquait même la possibilité d’exporter du gaz de schiste.

Mais pendant que l’industrie avançait vers la production, la très vaste majorité des citoyens de la province ignoraient jusqu’à l’existence de cette industrie en sol québécois. Il aura fallu que le dossier se retrouve dans les médias nationaux pour que le débat soit véritablement lancé. Certains parlent alors du « scandale » du gaz de schiste. La pression pousse même le ministre de l’Environnement d’alors, Pierre Arcand, à mandater le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) pour qu’il étudie ce dossier de plus en plus controversé.

Sans surprise, le BAPE conclura au manque d’informations pour bien apprécier les impacts. Suivront une évaluation environnementale stratégique, puis un autre BAPE sur le sujet. Au final, cette succession d’études révèle que les avantages de cette filière restent à démontrer, tandis que les risques sociaux et environnementaux sont bien réels. Mais, malgré l’apparente impossibilité d’aller de l’avant avec l’exploitation de gaz de schiste au Québec, Le Devoir a révélé cette semaine que 12 entreprises contrôlent encore aujourd’hui 16 000 km2 de permis dans la vallée du Saint-Laurent, tapissant ainsi les deux rives du fleuve entre Montréal et Québec.

Tout le territoire qui pourrait receler un potentiel pétrolier est lui aussi recouvert de permis d’exploration, essentiellement en Gaspésie et dans le Bas-Saint-Laurent. L’étendue de permis est telle qu’elle recoupe même quatre réserves fauniques, dont deux sont situées aux limites du parc national de la Gaspésie. D’autres permis couvrent, en milieu marin, la totalité de la baie de Gaspé et une portion de la baie des Chaleurs. En réponse à ces informations divulguées cette semaine par Le Devoir, le gouvernement a indiqué qu’il n’entend pas révoquer ces permis. Pas plus qu’il n’entend mandater le BAPE pour étudier la filière pétrolière.

Fonds publics

 

Par ailleurs, même si le ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles a dit cette semaine en commission parlementaire que Québec ne ferait jamais la « promotion » de l’exploitation des hydrocarbures, le gouvernement injecte des millions de dollars de fonds publics dans les entreprises du secteur. C’est le cas pour l’entreprise Pétrolia, dont le gouvernement est le « premier actionnaire ». En plus d’être le principal bailleur de fonds dans les travaux d’exploration sur l’île d’Anticosti, Ressources Québec a investi 12,3 millions de dollars dans le projet gazier Bourque, situé en Gaspésie.

Avec le volet « hydrocarbures » du projet de loi 106 — qui traite également de la mise en place des mesures de la politique de « transition » vers un Québec moins dépendant des ressources fossiles —, les libéraux comptent par ailleurs mettre en place le cadre législatif promis à l’industrie depuis plus de six ans. En théorie, le discours a changé depuis celui très « pro-industrie » prononcé par Nathalie Normandeau en 2009. Après tout, le premier ministre s’est posé en champion de la lutte contre les changements climatiques depuis le sommet de Paris de 2015.

Plusieurs ont toutefois déploré cette semaine, en commission parlementaire, les droits importants consentis aux entreprises qui lorgnent le potentiel du sous-sol québécois. Dans le monde municipal, on a vivement dénoncé la préséance des permis d’exploration sur l’aménagement du territoire. Même levée de boucliers contre la possibilité, pour une entreprise, d’obtenir une expropriation afin de démarrer un projet d’exploitation pétrolière ou gazière. Malgré le ton rassurant du ministre Arcand, qui a promis que cela serait possible uniquement si la chose est « d’intérêt public », certains y voient un énorme privilège accordé à une industrie qui est loin de faire l’unanimité. Surtout que le projet de loi ne mentionne jamais la question de l’intérêt public.

Le projet de loi 106 « concernant la mise en oeuvre de la Politique énergétique 2030 et modifiant diverses dispositions législatives » doit également confirmer, malgré la controverse, que les opérations de fracturation seront permises au Québec. Le document ne mentionne toutefois jamais le mot « fracturation ». Le gouvernement Couillard parle plutôt de « stimulation physique, chimique ou autre ». Sera-t-il possible de savoir si ces opérations auront été menées pour forer des puits ? La future législation prévoit que les informations sur les puits seront disponibles seulement deux ans après leur fermeture définitive.

Et au final, un Québec actif dans l’extraction de pétrole et de gaz sera-t-il en mesure d’atteindre ses objectifs de réduction de sa consommation d’hydrocarbures et ses cibles en matière d’émissions de gaz à effet de serre ? Pour le moment, la question demeure entière. Tout comme il apparaît clairement que le débat sur la pertinence d’exploiter d’éventuels gisements d’énergies fossiles est loin d’être clos.



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