Les réserves fauniques ouvertes à l’exploration pétrolière

Même si elles constituent des territoires naturels d’une grande richesse fréquentés par les amants de la nature, les réserves fauniques du Québec peuvent être ciblées librement par les compagnies pétrolières. Pas moins de quatre d’entre elles sont d’ailleurs couvertes par des permis d’exploration, a constaté Le Devoir. Le gouvernement Couillard n’entend pas révoquer ces permis.
Sans tambour ni trompette, les entreprises qui lorgnent le potentiel en énergies fossiles du sous-sol québécois ont pu mettre la main sur des dizaines de milliers de kilomètres carrés de permis d’exploration au cours de la dernière décennie.
La mise à jour de la carte produite par le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles permet d’ailleurs de constater que ces entreprises ont même ciblé le territoire de quatre « réserves fauniques ». Celles-ci relèvent de la responsabilité de la Société des établissements de plein air du Québec (SEPAQ), une Société d’État chargée de la gestion et de la conservation de ces territoires.
Pour aller plus loin : Consultez la carte des permis d'exploration pétrolière et gazière en vigueur au Québec
Ces réserves ont toutes été créées dans la foulée de l’abolition des clubs privés, qui ont longtemps eu le contrôle sur des éléments majeurs du territoire naturel du Québec. Sur son site Web, la SEPAQ évoque d’ailleurs une « démocratisation » de l’accès au territoire en parlant de la création des réserves fauniques.
Or, deux réserves de la Gaspésie totalisant 2400 km2 sont aujourd’hui entièrement couvertes par des permis d’exploration détenus par des entreprises privées. C’est le cas de la réserve des Chic-Chocs, un territoire situé aux limites du parc national de la Gaspésie. Une partie de la réserve est même enclavée dans le parc. « Cette situation géographique, à la périphérie d’un territoire protégé, en fait un lieu de prédilection remarquable pour la faune et pour la beauté de ses paysages », souligne d’ailleurs la SEPAQ dans sa description de cette réserve.
Celle-ci a été créée en 1949, notamment pour protéger « un territoire exceptionnel pour la faune ». L’entreprise Pétrolia, dont le gouvernement du Québec est le « premier actionnaire », détient aujourd’hui des permis d’exploration qui couvrent une bonne partie de cette région. D’autres permis qui empiètent sur le territoire sont détenus par Junex, dont Québec est le troisième actionnaire.
« Paysages époustouflants »
À l’ouest du parc national de la Gaspésie, les 1275 km2 de la réserve faunique de Matane sont entièrement couverts par des permis d’exploration contrôlés respectivement par Pétrolia et par Marzcorp Oil Gas. Dans ce cas, la SEPAQ évoque « une suite de paysages époustouflants », mais aussi des « panoramas incomparables » dans la promotion qu’elle fait de cette réserve. Comme pour les autres territoires de ce type au Québec, il est possible d’y pratiquer la pêche, la chasse, mais aussi la randonnée, l’observation de la faune, différentes activités de plein air et le camping.
Dans le Bas-Saint-Laurent, le sous-sol de la réserve de Rimouski est lui aussi convoité, puisque des permis d’exploration ont été acquis en 2006, puis en 2009. Ils sont aujourd’hui détenus par de petites entreprises actives dans la recherche de pétrole, soit Olitra et Ressources et Énergie Squatex.
On retrouve enfin une quatrième réserve faunique, soit celle de Portneuf, située au nord-ouest de Québec. Ce territoire comptant pas moins de 375 lacs est couvert en partie par trois permis d’exploration acquis en 2012 par une entreprise méconnue, NJ Exploration.
Dans le cas de cette réserve, située à une heure de voiture de Québec, la SEPAQ souligne qu’« un séjour en famille ou entre amis » constitue « une expérience mémorable ». « Que ce soit pour pêcher, chasser, skier, glisser, patiner ou simplement pour vous détendre en formule villégiature, c’est un rêve très accessible et facilement réalisable », ajoute la société d’État chargée de faire la promotion des réserves fauniques de la province.
Exploitation autorisée
Interpellée par Le Devoir mercredi, la SEPAQ a simplement reconnu que le statut accordé aux réserves fauniques « n’exclut pas d’autres types d’activités ».
Même son de cloche du côté du cabinet de Laurent Lessard, ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs. « Contrairement au réseau de parcs nationaux, il est possible d’exploiter des ressources naturelles dans les réserves fauniques du Québec. À titre d’exemple, des coupes forestières sont autorisées annuellement dans certains secteurs de réserves fauniques », a répondu par écrit son attaché de presse, Mathieu Gaudreault.
Ce dernier a également précisé que la délivrance des permis d’exploration relève du ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles. Mais en cas de projet pétrolier, le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs « est consulté et peut mentionner ses préoccupations quant à la conservation et à la mise en valeur de la faune ».
« En somme, lorsque les processus écologiques, la protection des habitats fauniques réglementés et le maintien de la qualité de l’expérience en réserves fauniques sont préservés, l’exploration peut être considérée comme compatible avec la mission de protection », a également fait valoir M. Gaudreault.
Est-ce que le gouvernement entend révoquer les permis d’exploration en vigueur dans les réserves fauniques ? « Actuellement, le ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs n’entend pas demander la révocation des permis d’exploitations », a répondu le cabinet du ministre Lessard.
Alice de Swarte, chargée de projets en conservation à la Société pour la nature et les parcs (SNAP), a pour sa part déploré « la préséance des usages industriels sur tous les autres usages du territoire ». Une situation selon elle illustrée par les permis d’exploration pétrolière et gazière en vigueur au Québec.
Ces permis bloquent aussi la création d’aires protégées au Bas-Saint-Laurent, selon ce qui se dégage d’un rapport publié plus tôt cette année par la SNAP. Pas moins de six des sept territoires ciblés pour devenir de telles zones de conservation se trouvent dans des zones sous permis d’exploration.
Pour Nature Québec, l’existence de permis d’exploration aux limites de plusieurs parcs nationaux pose aussi des problèmes de conservation, alors que c’est justement la mission des parcs nationaux. Ces permis rendent également impossible l’agrandissement du territoire protégé.