L’appétit pour le gaz de schiste ne tarit pas

Les entreprises détiennent ainsi près de 16 000 km2 de permis d’exploration entre Montréal et Québec, de part et d’autre du fleuve Saint-Laurent.
Photo: Abdallahh CC Les entreprises détiennent ainsi près de 16 000 km2 de permis d’exploration entre Montréal et Québec, de part et d’autre du fleuve Saint-Laurent.

Le dossier du gaz de schiste est loin d’être clos au Québec. Une douzaine d’entreprises pétrolières et gazières contrôlent toujours près de 16 000 kilomètres carrés de permis d’exploration dans la vallée du Saint-Laurent, la région la plus peuplée de la province. C’est ce que révèlent les données du ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles obtenues par Le Devoir. La Loi sur les hydrocarbures doit d’ailleurs confirmer pour de bon la validité de ces droits immobiliers consentis à des compagnies.

À la suite de près d’une année de demandes répétées, le ministère a finalement accepté de transmettre une carte mise à jour de l’ensemble des permis d’exploration pétrolière et gazière en vigueur au Québec. Un document qui est d’ailleurs désormais disponible sur le site Web du ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles (MERN).



Explorez la carte de tous les permis de recherche en vigueur
Les zones sont classées par couleur, selon l'entreprise titulaire du permis. Cliquez sur les zones pour plus de détails​

Source : Gouvernement du Québec

Cette carte permet de constater que six années après le début du scandale provoqué par l’industrie du gaz de schiste au Québec, les entreprises du secteur des énergies fossiles s’intéressent toujours activement au potentiel du sous-sol des basses terres du Saint-Laurent. Elles détiennent ainsi près de 16 000 km2 de permis d’exploration entre Montréal et Québec, de part et d’autre du fleuve Saint-Laurent.

Le territoire ciblé par les permis commence d’ailleurs aux portes de Montréal. Sur la Rive-Sud, les territoires de Longueuil, Saint-Lambert, Brossard, La Prairie, Châteauguay, Saint-Jean-sur-Richelieu, Chambly, Saint-Bruno-de-Montarville, Beloeil et Saint-Hyacinthe sont couverts en partie ou en totalité par des permis d’exploration.

Les permis d’exploration s’étendent aussi de part et d’autre de l’autoroute 20, et ce, jusqu’à englober une partie de Lévis. Ces droits cédés à des entreprises incluent ainsi en totalité le territoire de plusieurs municipalités, dont Sorel-Tracy et Drummondville. Et toute la portion située entre l’autoroute et le fleuve Saint-Laurent, une zone où l’activité agricole est importante, est sous permis.

Sur la Rive-Nord de Montréal, on constate entre autres que Terrebonne, Mascouche, Repentigny, Joliette et Berthierville sont sous permis. Le territoire couvert par les droits d’exploration s’étend ensuite jusqu’à Québec, englobant au passage une bonne partie de Trois-Rivières. Fait à noter, la carte du MERN indique que le territoire de l’aéroport Jean-Lesage se trouve dans une zone où l’entreprise Junex détient un permis d’exploration.

Plusieurs entreprises

 

C’est aussi Junex, dont Investissement Québec est le « troisième actionnaire », qui détient le plus de permis sur la Rive-Nord, entre Montréal et Québec, en plus d’autres droits sur la Rive-Sud. Sur son site Web, l’entreprise présente d’ailleurs les basses terres du Saint-Laurent comme un « bassin gazier en émergence » qui renfermerait un important potentiel en ressources « non conventionnelles », c’est-à-dire en gaz de schiste.

Parmi les entreprises qui détiennent des droits de recherche de pétrole et de gaz dans les basses terres, on compte par ailleurs Ressources et Énergie Squatex, Intragaz Exploration, Altai Resources, Pétrolympia, Gastem, dirigée par l’ancien ministre libéral Raymond Savoie, ainsi que l’entreprise albertaine Questerre. Une filiale de la pétrolière Suncor y possède deux permis. Quant à Repsol Oil Gas Canada, filiale de la multinationale espagnole Repsol, elle détient 20 permis dans toutes les basses terres.

En comparant les données mises à jour par le MERN avec la situation qui prévalait en 2011, au plus fort de la contestation sociale contre le gaz de schiste, on constate en outre que la superficie couverte par des permis d’exploration dans les basses terres du Saint-Laurent a été réduite de moitié. Mais si des entreprises ont quitté le territoire québécois, certaines ont cédé leurs permis à d’autres entreprises qui lorgnent toujours son potentiel gazier.

Le projet de loi 106 « concernant la mise en oeuvre de la Politique énergétique 2030 et modifiant diverses dispositions législatives » prévoit d’ailleurs de permettre les opérations de fracturation au Québec, opération essentielle pour extraire le gaz de schiste. Le document qui est étudié cette semaine en commission parlementaire ne mentionne toutefois jamais le mot « fracturation ». Le gouvernement Couillard parle plutôt de « stimulation physique, chimique ou autre ». Une telle démarche nécessitera une « autorisation de complétion » de la part du gouvernement.

Conflits en vue

 

Qui plus est, la première législation sur les hydrocarbures de l’histoire du Québec doit permettre d’enchâsser dans la loi le fait que les permis d’exploration « constituent des droits réels immobiliers » et « une propriété distincte de celle du sol sur lequel ils portent ». Pour les obtenir, il suffit de formuler une simple demande au MERN.

Une fois qu’il obtient le permis, le titulaire devra simplement informer le propriétaire du terrain et la municipalité « dans les 30 jours » suivant son inscription au registre public. Et en cas de découverte de gisement, il pourra aller jusqu’à demander une « expropriation » pour lancer la phase d’exploitation de pétrole ou de gaz. Une telle mesure est inscrite dans la Loi sur les mines du Québec depuis la fin du XIXe siècle.

Toutes ces mesures inquiètent la Fédération québécoise des municipalités, dont plus d’une centaine de membres s’opposent déjà à l’adoption du projet de loi 106. Selon ce qu’a fait valoir mardi son président, Richard Lehoux, les droits accordés aux entreprises risquent d’interférer dans le développement et l’aménagement des municipalités. Ils pourraient donc, au final, nuire significativement à l’autonomie des municipalités, a-t-il dit en substance, invitant le gouvernement à modifier son projet de loi « façon importante ». Sans quoi, estime M. Lehoux, « l’acceptabilité sociale ne sera pas au rendez-vous ».


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