Une centaine de villes rejettent le projet de loi

Dans la région de Gaspé, certains opposants à l'exploitation pétrolière affichent leur rejet des projets de Pétrolia à l'entrée de leur terrain.
Photo: Alexandre Shields Le Devoir Dans la région de Gaspé, certains opposants à l'exploitation pétrolière affichent leur rejet des projets de Pétrolia à l'entrée de leur terrain.

Au moment où la commission parlementaire étudiant le projet de loi sur les hydrocarbures amorce ses travaux, plus d’une centaine de municipalités du Québec appellent déjà à son retrait pur et simple, a appris Le Devoir. Cette fronde s’ajoute à celle des groupes qui dénonceront le préjugé favorable du gouvernement Couillard envers l’exploitation des énergies fossiles, dans un contexte de lutte contre les changements climatiques.

Dans le cadre d’une initiative lancée après le dépôt en juin du projet de loi 106 « concernant la mise en oeuvre de la Politique énergétique 2030 et modifiant diverses dispositions législatives », un comité composé notamment d’élus et de juristes a rédigé une résolution d’opposition à ce premier projet de loi sur les hydrocarbures dans l’histoire du Québec.

Le texte, envoyé aux municipalités de la province, dresse ainsi une liste de griefs contre le projet de loi qui sera étudié cette semaine en commission parlementaire à Québec. Il déplore d’emblée « le retrait des compétences municipales » sur les prélèvements d’eau effectués dans le cadre de l’exploration et de l’exploitation de pétrole et de gaz.

Si elle est adoptée, cette loi sur les hydrocarbures primerait « sur les schémas d’aménagement des MRC et sur tout règlement de zonage ou de lotissement », souligne aussi la résolution, qui soutient que les municipalités « ne seront pas consultées, mais simplement informées » des travaux d’exploration et de production d’énergies fossiles.

Le document rappelle également que le projet de loi prévoit des droits importants pour les entreprises. Selon ce qui a été présenté en juin par le ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles, Pierre Arcand, les droits d’exploration et d’exploitation « constituent des droits réels immobiliers » et « une propriété distincte de celle du sol sur lequel ils portent ». Une fois qu’il obtient le permis d’exploration, le titulaire d’un permis devra donc simplement informer le propriétaire du terrain et la municipalité « dans les 30 jours » suivant son inscription au registre public.

Si une entreprise découvre un gisement de pétrole ou de gaz naturel et qu’elle souhaite l’exploiter, elle devra en faire la demande à la Régie de l’énergie. L’obtention de ce permis de « production » lui donnera d’ailleurs des droits importants. Dans le cas d’un terrain privé, l’entreprise pourra tenter d’obtenir l’accord du propriétaire ou encore d’acquérir le terrain.

Le hic, c’est que si ce dernier refuse, elle pourra aller beaucoup plus loin. Le projet de loi sur les hydrocarbures prévoit en effet que, « à défaut d’entente, le titulaire peut, pour l’exécution de ces travaux, acquérir ces droits réels ou ces biens par expropriation ». Une telle mesure est inscrite dans la Loi sur les mines du Québec depuis la fin du XIXe siècle.

Demande de rejet

 

Après avoir pris connaissance des points soulevés dans la résolution d’opposition au projet de loi 106, plus d’une centaine de municipalités ont jusqu’à présent signé le document. Ces membres de la Fédération québécoise des municipalités la pressent donc de « rejeter le projet de loi et d’en demander le retrait ».

Parmi les municipalités signataires, on retrouve celles de la MRC d’Autray, de la MRC de Joliette, de la MRC de Montmagny, de la MRC Rimouski-Neigette, des municipalités de la Gaspésie et de certaines de la Montérégie. Selon le juriste Richard Langelier, du comité scientifique ad hoc sur la protection de l’eau, le nombre de municipalités « pourrait doubler » dans les prochaines semaines, puisque la résolution a été envoyée en période de relâche estivale dans le monde municipal.

Déjà, a-t-il constaté, le message de rejet est très fort. « Il y a, au niveau des municipalités, une véritable prise de conscience. Et la grogne est importante par rapport à ce projet de loi, selon ce qui ressort des rencontres des dernières semaines. Il est clair que le projet de loi ne passe pas la barre de l’acceptabilité sociale. Je n’ai pas entendu de réactions positives au sujet de ce projet de loi. »

Division

 

M. Langelier, qui a rencontré plusieurs élus municipaux à travers le Québec au cours des derniers mois, a aussi souligné que les projets pétroliers et gaziers peuvent « diviser » les communautés. « Avant de fracturer le sous-sol, les compagnies pétrolières ou gazières fracturent souvent les territoires », a notamment illustré un élu cité par le juriste. C’est le cas de la municipalité de Gaspé, où le projet d’exploration pétrolière Haldimand, de Pétrolia, divise les citoyens entre opposants et partisans depuis déjà quelques années.

Ni la Fédération québécoise des municipalités (FQM) ni l’Union des municipalités du Québec n’ont voulu commenter lundi la fronde contre le projet de loi 106. Les deux regroupements présenteront toutefois un mémoire cette semaine dans le cadre de la commission parlementaire, qui se tiendra jusqu’à vendredi. Qui plus est, la FQM promet de se pencher sur la question au cours de son assemblée annuelle, qui aura lieu en septembre.

Avant le dépôt du projet de loi sur les hydrocarbures, le gouvernement Couillard s’est par ailleurs attiré de vives critiques du monde municipal, après l’adoption, en 2014, du Règlement sur le prélèvement des eaux et leur protection. Celui-ci a été édicté dans le but de fixer une fois pour toutes des normes pour les distances entre les forages, ou encore les opérations de fracturation, et les sources d’eau potable.

Or, selon les données transmises au Devoir lundi, pas moins de 331 municipalités ont appuyé jusqu’à présent les démarches en faveur d’une demande de dérogation, afin d’imposer des normes plus sévères.

En marge de la commission parlementaire qui débute ce mardi, des groupes environnementaux promettent de manifester pour demander au gouvernement Couillard de « sortir le Québec de la filière pétrolière et gazière ». À l’heure actuelle, plus de 58 000 km2 du territoire de la province sont l’objet de permis d’exploration détenus par des entreprises dans le secteur des énergies fossiles.

Consultez notre dossier sur les énergies fossiles au Québec



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