Autochtones et élus blâment Couillard

Le gouvernement libéral est sévèrement critiqué par la nation innue et des élus de Minganie pour sa gestion du dossier pétrolier d’Anticosti. Dans une lettre adressée vendredi au premier ministre Philippe Couillard, les signataires font front commun pour dénoncer le manque de consultations des autochtones pour tout projet d’exploration et d’exploitation sur l’île malgré « l’obligation constitutionnelle » de le faire.
« En premier lieu, nous ne saurions qualifier de véritable consultation sur ces autorisations l’exercice de dernière minute auquel votre gouvernement s’est livré. Cet exercice illustre bien la place très secondaire qu’occupe dans vos activités l’obligation constitutionnelle de consulter les autochtones et votre devoir comme chef du gouvernement de consulter adéquatement les populations régionales et locales », écrivent-ils dans la missive obtenue par Le Devoir. Cette lettre est signée par six chefs de la nation innue ainsi que par Luc Noël, préfet de la Minganie, et de John Pineault, maire de l’île d’Anticosti.
Le projet s’est soudainement heurté, à compter de décembre 2015, à l’hostilité de […] Philippe Couillard, qui a entrepris, de façon impromptue de faire de l’avortement du projet un objectif recherché
Selon l’avocat des Innus dans ce dossier, David Schulze, l’envergure du projet d’exploitation pétrolière à Anticosti justifiait un processus de consultation planifié et approfondi.
« Si ça avait été un projet très mineur, à la limite, ils auraient pu mener le genre de consultation qu’ils ont faite », dit-il.
Injonctions en préparation
Le Devoir révélait mardi que les Innus de Mingan préparent une demande d’injonction afin d’empêcher l’exploration pétrolière à Anticosti, arguant qu’ils n’avaient pas été suffisamment consultés dans le dossier. Le chef innu d’Ekuanitshit, Jean-Charles Piétacho, avançait même son intention d’occuper Anticosti pour protester contre le début des travaux, s’ils ont lieu. Rappelons que trois forages ont été permis en juin par la voie de quatre certificats d’autorisation du ministère de l’Environnement.
Pendant ce temps, mardi matin, la compagnie Pétrolia a déposé une demande d’injonction devant les tribunaux pour forcer Ressources Québec, une filiale d’Investissement Québec, à investir ce qui était prévu pour le projet d’exploration des hydrocarbures à l’île d’Anticosti. Pétrolia reproche à Ressources Québec et à un autre partenaire, Saint-Aubin E P, une filiale de la société française Maurel Prom, de ne pas respecter leur engagement d’investir au total 100 millions pour financer le programme de travaux exploratoires. L’entreprise québécoise demande entre autres le versement d’une somme totale de 12,8 millions.
Dans l’introduction de la demande d’injonction qui sera entendue mercredi en Cour supérieure, Pétrolia soutient que « le projet s’est soudainement heurté, à compter de décembre 2015, à l’hostilité de […] Philippe Couillard, qui a entrepris, de façon impromptue de faire de l’avortement du projet un objectif recherché ».
Pétrolia en déduit que, « dès lors, Ressources Québec a fait de l’obstruction pour se conformer à la volonté du gouvernement libéral, notamment en bloquant l’adoption du budget d’exploitation annuel d’Hydrocarbures Anticosti, ce qui empêche ainsi le début des travaux d’exploration cet été ».
Interrogé par Le Devoir, Alexandre Gagnon a en effet déclaré que « le début des travaux de forage est subsidiaire des procédures juridiques en cours ».
Mardi à Hambourg, le premier ministre du Québec, Philippe Couillard, a dit « comprendre » la position des autochtones dans ce dossier. Selon Philippe Couillard, la société Pétrolia n’a pas assez consulté les autochtones. Et selon lui, la demande d’injonction que s’apprête à déposer une communauté innue de la Côte-Nord est le résultat de cette communication déficiente.
Acceptabilité sociale
Or, Alexandre Gagnon soutient avoir toujours compris que la démarche d’acceptabilité sociale du projet était du ressort du gouvernement. « Dans notre esprit, et ce, depuis la naissance d’Hydrocarbures Anticosti, le gouvernement du Québec a toujours clairement précisé que l’acceptabilité sociale pour les Innus et la MRC de la Minganie était de son ressort. J’ajouterais même qu’en sus des documents du ministère du Conseil exécutif […], une rencontre s’est tenue avec les représentants du ministère des Ressources naturelles responsable de l’acceptabilité sociale, le 14 avril 2014 précisément, sur la question des Innus et de la MRC de la Minganie, nous avions alors demandé la mise sur pied d’un comité de coordination régional et d’un autre national, le tout en collaboration avec le gouvernement. Le nouveau gouvernement n’a alors pas cru bon de donner suite à cette demande, tout en laissant sous-entendre qu’il était de son ressort de s’en occuper. »
Quant à savoir s’il était de la responsabilité du gouvernement du Québec ou de Pétrolia de mener ces consultations, Me David Schulze répond que le gouvernement du Québec peut déléguer une partie de cette tâche à l’entreprise. « On remarque partout une tendance à délester au promoteur », dit-il.
Dans leur lettre au premier ministre Couillard, les élus d’Anticosti et de la Côte-Nord blâment celui-ci pour n’avoir répondu qu’à des préoccupations financières en accordant les autorisations pour trois forages.
« Si ce sont plutôt les conséquences financières qui vous ont préoccupé, nous sommes déçus que vous n’ayez pas eu le courage de vos prédécesseurs, qui ont annulé des projets énergétiques mal conçus comme le complexe hydroélectrique Grande-Baleine, la centrale thermique du Suroît ou la centrale nucléaire Gentilly-2, malgré les coûts de leurs décisions », écrivent-ils.