Des permis fauniques tarifés pour les chercheurs

Concrètement, les frais exigés pour « les services administratifs reliés à l’analyse de certaines demandes » toucheront les permis demandés à des fins scientifiques, éducatives ou de gestion de la faune (SEG).
Photo: Olivier Zuida Le Devoir Concrètement, les frais exigés pour « les services administratifs reliés à l’analyse de certaines demandes » toucheront les permis demandés à des fins scientifiques, éducatives ou de gestion de la faune (SEG).

Le gouvernement Couillard a décidé d’imposer sa logique d’« utilisateur-payeur » aux biologistes, universitaires et organismes sans but lucratif qui demandent des permis fauniques à des fins scientifiques, éducatives ou de gestion de la faune et de ses habitats. Québec entend ainsi dicter des tarifs pour des permis jusqu’ici gratuits. Un projet présenté sans préavis et qui devrait mettre en péril des projets de recherche et de conservation, dénonce l’Association des biologistes du Québec dans une lettre obtenue par Le Devoir.

Passé d’abord inaperçu lors de sa publication dans la Gazette officielle du 30 mars, le projet de règlement modifiant la « tarification reliée à l’exploitation de la faune » prévoit l’imposition d’une grille tarifaire aux personnes, organismes ou entreprises qui présentent une demande au ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP), et ce, pour plusieurs types de permis régulièrement délivrés. Celle-ci doit d’ailleurs entrer en vigueur dans les prochaines semaines.

L’ABQ comprend mal comment le gouvernement peut prétendre qu’une tarification, quelle qu’elle soit, peut améliorer la gestion de la faune, la recherche scientifique et l'éducation du public

 

Concrètement, les frais exigés pour « les services administratifs reliés à l’analyse de certaines demandes » toucheront les permis demandés à des fins scientifiques, éducatives ou de gestion de la faune (SEG). Ainsi, tout biologiste, conseil régional de l’environnement ou organisme de bassin versant qui voudrait obtenir un « permis de gestion de la faune régional » devra débourser 320 $. Une telle demande pourrait être formulée pour un projet de capture de poissons ou de reptiles, par exemple dans le but d’effectuer un suivi de population ou de biodiversité.

Coûteuses modifications

 

Si ce même projet touche « plus de deux régions administratives », la facture imposée par le MFFP passera à 626 $. Un tel montant pourrait être exigé auprès d’un biologiste qui effectuerait une étude pour un organisme sans but lucratif. Qui plus est, toute « modification » à une demande de permis SEG sera accompagnée de frais. Ceux-ci pourront atteindre 156 $. Or, les demandes de modifications sont courantes, ont confié des professionnels qui ont témoigné de leurs inquiétudes au Devoir, mercredi.

Le gouvernement Couillard a aussi décidé que les institutions d’enseignement et les comités ZIP — dont le mandat consiste à favoriser la résolution de problèmes environnementaux locaux — devront aussi payer pour obtenir des permis « à des fins éducatives ». Des frais pourraient même très bien être exigés d’un étudiant en biologie qui effectuerait des travaux dans le cadre de sa formation, selon des informations recueillies mercredi par Le Devoir.

Quant aux demandes de permis pour des « travaux d’aménagement faunique », elles seront assujetties à des frais variant de 506 $ à 2529 $. Si ces permis sont habituellement réclamés par des entreprises, selon le MFFP, ils risquent aussi d’avoir des impacts sur des organismes déjà peu nantis. Ainsi, un organisme qui voudrait retirer un barrage de castors pour protéger l’habitat de la rainette faux-grillon devra débourser 1900 $.

Projet inacceptable

 

Pour l’Association des biologistes du Québec (ABQ), ce projet de règlement est tout simplement inacceptable. « L’ABQ comprend mal comment le gouvernement peut prétendre qu’une tarification, quelle qu’elle soit, peut améliorer la gestion de la faune, la recherche scientifique et l’éducation du public », déplore son président, Patrick Paré, dans une lettre transmise à la sous-ministre à la Faune et aux Parcs, Julie Grignon, et dont Le Devoir a obtenu copie. L’organisation, qui compte 850 membres, dit d’ailleurs n’avoir jamais été informée des intentions du gouvernement.

« Doit-on mettre en péril des projets ayant pour objectifs l’acquisition de connaissance, le partage du savoir et la protection d’habitats et d’espèces menacées ? Avec ce projet de règlement, l’ABQ prévient le gouvernement de l’effet pervers qu’il pourrait engendrer, notamment sur le plan du dévouement des OBNL et biologistes indépendants qui font tellement pour la faune du Québec, malgré leurs faibles moyens. »

La biologiste Isabelle Picard croit d’ailleurs que les tarifs imposés par Québec risquent de compromettre plusieurs projets de nature scientifique, ou encore d’aboutir à une réduction substantielle de la qualité des données recueillies. Pour des organismes qui veulent acquérir une meilleure connaissance d’un milieu naturel dans le but d’en promouvoir la protection, les frais risquent d’être tout simplement trop élevés.

Les résultats des études scientifiques réalisées avec des permis SEG contribuent pourtant aux connaissances des ministères, mais aussi aux travaux des équipes de rétablissement des espèces en péril, rappelle en outre l’ABQ.

Principe de l’utilisateur-payeur

Dans une réponse écrite transmise mercredi, le MFFP a justifié le projet de règlement en soulignant qu’il a désormais « l’obligation de tarifer ses activités en vertu de la Politique sur le financement des services publics qui s’appuie sur le principe de l’utilisateur-payeur. Les sommes perçues seront d’ailleurs réinvesties afin que le ministère puisse remplir ses obligations en matière de conservation, de mise en valeur, de protection de la faune et de ses habitats ».

« Lorsqu’il s’agit de l’aménagement faunique, le projet de règlement ne fait aucune distinction entre un organisme sans but lucratif, principalement composé de bénévoles, et une entreprise privée », a dénoncé mercredi le porte-parole du Parti québécois en matière de forêts, de faune et de parcs, Sylvain Roy. Au cours des dernières années, l’entreprise TransCanada a obtenu des permis SEG pour son projet Énergie Est. Elle n’a pas eu à payer pour les obtenir.

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