Québec mise sur des gisements à fortes émissions

Les projets d’exploration pétrolière et gazière que le gouvernement Couillard finance et encourage en Gaspésie pourraient générer des émissions de gaz à effet de serre aussi intenses que celles du pétrole et du gaz de schiste, conclut une étude du ministère de l’Environnement. Mais il sera difficile d’avoir l’heure juste, puisque aucun des projets ne fera l’objet d’une évaluation environnementale indépendante.
Pour le premier ministre Philippe Couillard, le gaz naturel constitue une source d’énergie de « transition » vers une économie « sobre en carbone ». Il l’a d’ailleurs souligné à plusieurs reprises au moment de présenter la nouvelle politique énergétique du Québec, une stratégie qui prévoit une plus grande utilisation de cette ressource fossile au cours des prochaines années.
Philippe Couillard a du même coup réitéré son appui indéfectible aux projets gaziers et pétroliers en développement en Gaspésie. Son gouvernement, actionnaire important des entreprises Junex et Pétrolia, a d’ailleurs injecté des millions de dollars dans la recherche d’éventuels gisements d’énergies fossiles. C’est le cas du projet gazier Bourque, de Pétrolia, qui pourrait donner le coup d’envoi d’autres projets en territoire gaspésien, selon ce qu’a fait valoir récemment la pétrolière dans le cadre d’une entrevue au Devoir.
Or, une étude du ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques conclut que les gisements gaziers qu’on retrouverait en Gaspésie pourraient générer des émissions de gaz à effet de serre nettement plus importantes que ce qui a été dit jusqu’à présent pour faire la promotion de ces projets dits « conventionnels ». La même analyse est d’ailleurs valable pour les éventuels gisements pétroliers gaspésiens qui pourraient être exploités sous peu.
En fait, l’étude produite dans le cadre de l’évaluation environnementale stratégique (EES) souligne que les émissions de gaz à effet de serre (GES) découlant de l’exploitation des structures Bourque, Galt et Haldimand (les trois cibles de l’exploration en Gaspésie) se situeraient « dans la moyenne des émissions liées à l’exploitation du gaz de schiste et du pétrole de schiste nord-américain ».
Les auteurs de cette « Estimation des intensités d’émissions de gaz à effet de serre de différents bassins géologiques du Québec » précisent qu’il n’est pas possible, pour le moment, de calculer « les émissions absolues » de GES qui pourraient résulter de l’exploitation, puisque les potentiels réels n’ont toujours pas été démontrés. Néanmoins, « les intensités d’émissions de GES représentent les meilleures approximations pouvant être réalisées en fonction du niveau actuel des connaissances ».
D’ailleurs, en se basant sur une étude de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) sur les formations géologiques analogues, produite elle aussi dans le cadre de l’EES, « il est possible d’estimer l’intensité d’émissions de GES d’une potentielle exploitation des hydrocarbures pour ces structures ». L’intensité d’émissions de GES est le rapport entre les émissions de GES et la quantité d’énergie produite.
« L’évaluation de ce paramètre permet de comparer les structures géologiques en termes d’empreinte carbone et pourrait mener à une évaluation des émissions de GES absolues si des données sur la production d’hydrocarbures s’avéraient disponibles dans le futur », souligne le rapport.
Dans le cas des structures Bourque et Galt, on retrouve une structure similaire dans le sud des États-Unis. Celle-ci s’étend sur le territoire de l’Oklahoma, du Kansas et du Texas. Selon les données compilées dans le document du ministère, les émissions de GES du gaz qui serait exploité en sol québécois pourraient donc être « du même ordre de grandeur » que celles produites dans le cadre de l’extraction de gaz de schiste dans cette formation géologique située aux États-Unis.
En ce qui a trait à la structure Haldimand, soit celle que Pétrolia explore en plein coeur de Gaspé, les auteurs de l’étude dressent un parallèle avec la formation de Bakken, exploitée pour son pétrole de schiste au Dakota du Nord.
Pas de BAPE
« Malgré l’existence d’un nombre élevé de pratiques qui rendent l’industrie des hydrocarbures moins émettrice de GES, l’estimation de l’intensité des émissions découlant de l’exploitation des hydrocarbures a été réalisée en prenant des paramètres d’émission standards et des pratiques actuelles de l’industrie, prennent en outre soin de préciser les auteurs. Étant donné le degré d’incertitude actuel quant à l’exploitation d’hydrocarbures au Québec, nous considérons qu’il s’agit d’une approche réaliste. »
Le hic, c’est qu’il sera difficile d’avoir l’heure juste sur le bilan des émissions de GES des projets de Pétrolia et Junex en Gaspésie, s’ils sont lancés un jour. Le gouvernement Couillard a décidé de les étudier uniquement dans le cadre de l’EES. Aucune évaluation indépendante n’est prévue, par exemple sous l’égide du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement.
Pour le porte-parole de la campagne Climat-énergie de Greenpeace, Patrick Bonin, les conclusions de l’étude démontrent pourtant que les projets devraient alourdir substantiellement le bilan de GES du Québec. « Cette étude met aussi en évidence le manque de cohérence de la nouvelle politique énergétique du gouvernement du Québec, qui ouvre la porte à l’exploitation des hydrocarbures et prévoit une augmentation importante de la consommation et des infrastructures de gaz au Québec d’ici 2030. »
Plusieurs groupes environnementaux et citoyens demandent eux aussi au gouvernement de mettre de côté l’idée d’accroître le recours au « gaz naturel fossile », comme le prévoit la nouvelle politique énergétique.
Est-ce que Pétrolia a bon espoir de pouvoir produire du gaz naturel et du pétrole qui émettent moins de gaz à effet de serre que le gaz et le pétrole de schiste ? « Pour chacun de nos projets, nous cherchons à émettre le moins de GES possible en nous inspirant de meilleures pratiques observées ailleurs. Les prochaines étapes d’exploration nous permettront d’évaluer avec plus de précision la quantité de GES émis advenant une production », a répondu l’entreprise.