Les routes du Québec peuvent-elles s’affranchir du sel?

Alors que la Ville de Québec cherche à limiter le recours aux sels de voirie pour protéger son eau potable, un programme du ministère des Transports permet déjà à des municipalités de s’affranchir de ce produit sans compromettre la sécurité des automobilistes.
Le maire de Saint-Aimé-du-Lac-des-Îles parle de son « écoroute d’hiver » avec enthousiasme. Depuis deux ans, le chemin du Village est entretenu sans sel de déglaçage. « On ne met plus de calcium sur le chemin, seulement du sable, explique Pierre-Paul Goyette. On utiliserait le sel s’il y avait des pluies verglaçantes avec des routes impraticables, mais ce n’est pas encore arrivé. »
Située dans les Laurentides, la petite municipalité a voulu tenter l’expérience pour protéger son lac, « l’un des plus beaux de la région », souligne son maire. Pour remplacer les abrasifs, la Ville a complètement changé ses façons de faire. En plus de miser sur le sable, le chemin est gratté plus souvent et plus tôt, tandis que la limite de vitesse est passée de 80 à 50 km à l’heure. « On est une des municipalités avec les meilleures cotes pour l’entretien de nos chemins. »
L’entente avec le ministère des Transports prévoit que ce dernier assume les coûts de ce déneigement nouveau genre, mais c’est la Ville qui s’en occupe. « On ne fait pas d’économies et ça ne nous coûte rien de plus, mais par contre, on sauve notre lac », ajoute M. Goyette.
Une nouvelle écoroute ?
À l’heure actuelle, on recense quinze écoroutes d’hiver aux quatre coins du Québec. Elles sont toutes situées en milieu rural, dans des secteurs peu populeux qui relient des petites et moyennes municipalités.
Cette initiative méconnue s’inscrit dans la Stratégie québécoise pour une gestion environnementale des sels de voirie. Les écoroutes ont en outre une signalisation particulière avec des panneaux verts indiquant la longueur de l’artère concernée.
Pour l’heure, on n’en trouve aucune dans le bassin versant du Lac-Saint-Charles. La seule de la région se trouve à Rivière-à-Pierre, dans Portneuf.
La Communauté métropolitaine de Québec (CMQ) gagnerait-elle à en implanter une à Stoneham ? Chose certaine, il va falloir réduire la quantité de sel utilisée dans le secteur, répond Mélanie Deslongchamps, la directrice de l’Association pour la protection de l’environnement du Lac-Saint-Charles et des Marais du Nord (APEL).
L’APEL et les représentants de la CMQ doivent justement rencontrer les fonctionnaires du ministère des Transports cette semaine pour parler de l’impact du réseau routier sur le lac, qui constitue la principale réserve d’eau potable de la Ville de Québec.
Au-delà des fosses septiques des nouveaux développements de la couronne nord, les recherches de l’APEL laissent entendre que la nouvelle autoroute à Stoneham a joué un rôle notable dans le vieillissement accéléré du lac ces dernières années.
À moins d’imposer les pneus à crampons comme en Norvège, on va devoir apprendre à rouler moins vite et à moins compter sur le calcium, croit Mme Deslonchamps. Parce qu’il n’y a pas vraiment de solution de rechange au sel, dit-elle.
Le fameux jus de betterave, dont on vantait les mérites il y a quelques années comme substitut aux abrasifs, ne résoudrait rien. « C’est plein de sucre, ça contribuerait à réduire le taux d’oxygène dans le lac ». Quant aux produits qu’on utilise sur les pistes d’atterrissage des aéroports, ils sont certes moins nocifs que les sels, dit-elle, « mais ils ont aussi un impact négatif sur l’oxygène du lac et on ne veut pas ça ».
Expériences concluantes
En attendant, les expériences des écoroutes ailleurs au Québec se révèlent instructives. À Saint-Alfred, en Beauce, le projet a suscité une levée de boucliers au tout début. Il n’y a pas eu d’accident, mais une déferlante de plaintes à la Ville. « Le premier hiver, on ne savait pas trop comment faire et, en plus, on avait eu un hiver difficile, explique le maire, Jean-Roch Veilleux. Maintenant, on passe le sable avant que ça gèle. » La Ville utilise encore un peu de sel, mais le maire estime avoir réduit les quantités de 75 %.
À Saint-Alfred, ce n’est pas tant la protection des cours d’eau que l’état de la machinerie qui a motivé le changement. « Avec le calcium, le camion en prend un coup. C’est beaucoup plus d’entretien et de nettoyage », explique le maire. Il ajoute qu’il y a des puits artésiens « tout le long de la route ». « À un moment donné, la nappe phréatique va être contaminée. »
À Saint-Théodore d’Acton, en Montérégie, l’écoroute fait près de 15 km de long et est en fonction depuis 2011. Le directeur de la municipalité, Marc-Lévesque, concède qu’il y a eu « quelques plaintes dans les premières années ». « Mais on a fait une bonne campagne d’information avec le MTQ et, maintenant, c’est socialement bien accepté. »
Dans son secteur, on a voulu tester la formule pour protéger les terres agricoles aux abords de la route qui mène à Saint-Nazaire. La limite de vitesse n’a pas été réduite, mais « c’est sûr que la gestion des opérations de déneigement est différente », souligne-t-il.
Les autres écoroutes d’hiver se trouvent dans le Témiscamingue (Duhamel-Ouest), au Bas-Saint-Laurent (Lac-au-Saumon), en Estrie (à Nantes, Woburn et au lac Memphrémagog), dans le Centre-du-Québec (Sainte-Sophie-d’Halifax et Saint-Albert) et au Saguenay–Lac-Saint-Jean (entre Mistassini et Saint-Eugène et entre Roberval et Mashteuiatsh).
Chaque année, 1,5 million de tonnes de sel de voirie sont utilisées sur les routes du Québec.