Le pipeline de la dernière chance

Photo: Garth Lenz La production pétrolière des sables bitumineux doit doubler d’ici 15 ans, pour atteindre quatre millions de barils par jour. Cette croissance ne sera possible que si des pipelines comme Énergie Est sont construits rapidement.

Aux prises avec des projets de pipelines bloqués depuis des années, l’industrie pétrolière est bien consciente que la croissance de sa production passe inévitablement par la construction d’Énergie Est. C’est dans ce contexte que TransCanada mène son offensive tous azimuts en faveur de ce projet destiné à exporter le pétrole des sables bitumineux.

Debout devant des tirages grand format de ses photos prises dans le nord de l’Alberta, le photographe Garth Lenz ne mâche pas ses mots pour décrire les impacts de l’industrie pétrolière : « Lorsque j’ai survolé des sites d’exploitation des sables bitumineux, que ce soit en 2005 ou en 2010, j’ai été très surpris par la taille de ces zones hautement industrialisées, mais aussi par l’ampleur de la destruction de ces régions qui étaient auparavant recouvertes par la forêt boréale. Ce sont des faits indéniables, mes photos en témoignent. »

Si vous dites oui et que le pipeline est construit, c’est précisément pour que cette industrie puisse continuer de croître. C’est ce que vous allez cautionner. Il faut y réfléchir avant de prendre une décision.

Le Britanno-Colombien met d’ailleurs en garde les Québécois. « Si vous dites oui à Énergie Est et que ce pipeline est construit, c’est précisément pour que cette industrie puisse continuer de croître. C’est ce que vous allez cautionner. Il faut y réfléchir avant de prendre une décision », laisse tomber le photographe de réputation internationale dont le travail est présentement exposé à la Maison du développement durable, à Montréal.

Production d’or noir

Le secteur des sables bitumineux a effectivement plus que jamais besoin que de nouveaux pipelines soient construits. « Les entreprises ont déjà un manque de capacité de transport. Donc, sans projet de pipeline, elles ne pourront pas composer avec la croissance de la production. Il risque d’y avoir un blocage », explique Jean-Thomas Bernard, professeur au département de science économique de l’Université d’Ottawa.

Selon les données de l’Association canadienne des producteurs pétroliers, la production d’or noir au pays atteignait 3,7 millions de barils par jour en 2014 (deux fois la consommation du pays), dont 2,2 millions provenant des sables bitumineux. Si les projets de développement de nouveaux gisements sont au rendez-vous, ce secteur de l’industrie devrait extraire quotidiennement 3,5 millions de barils en 2025, puis 4 millions en 2030. Bref, la production des sables bitumineux devrait doubler d’ici 15 ans.

D’où un besoin accru de capacité de transport de ce brut vers les marchés. Et s’il a plusieurs fois été dit que les Canadiens, et surtout les Québécois, doivent choisir entre le transport de pétrole par pipeline ou par train, la réalité invalide cet argument.

En fait, à lui seul, le pipeline Énergie Est transporterait l’équivalent de 1570 wagons de pétrole chaque jour, selon TransCanada, soit l’équivalent de 22 convois comme celui qui a déraillé et explosé à Lac-Mégantic en 2013.

Il serait techniquement impossible de faire voyager autant de convois à travers le Québec, à moins de construire de nouvelles voies ferrées. Qui plus est, le transport par train est nettement plus coûteux que celui par pipeline.

Projets bloqués

 

La croissance de l’industrie passe donc par les projets de pipelines. Or, dans le contexte actuel, on pourrait dire que le projet Énergie Est de TransCanada est d’autant plus nécessaire qu’il constitue, pour le moment, l’unique planche de salut de l’industrie. « Énergie Est n’était pas leur première option, mais ce qu’on vise, c’est d’abord l’exportation », souligne M. Bernard. Il rappelle ainsi que les géants du secteur pétrolier comptaient beaucoup sur le projet Keystone XL, qui aurait permis de relier l’Alberta aux raffineries de la région de Houston, dans le sud des États-Unis. Mais le projet a été bloqué par le président Barack Obama.

Deux autres projets ayant pour objectif de rejoindre des installations portuaires situées sur la côte ouest canadienne peinent à voir le jour. Il s’agit d’abord du projet Northern Gateway, approuvé sous conditions par le gouvernement fédéral mais qui fait face à de nombreux blocages, notamment de la part des Premières Nations. Quant au projet TransMountain, il a été rejeté par la Ville de Vancouver et même par le gouvernement de la Colombie-Britannique.

Lobby pétrolier

 

Énergie Est devient donc une priorité absolue pour le lobby pétrolier. Les efforts de TransCanada témoignent d’ailleurs de l’importance de ce projet de 15 milliards de dollars, qui doit permettre d’acheminer essentiellement du pétrole albertain vers le Nouveau-Brunswick, d’où il pourra être exporté vers l’Europe, les États-Unis et l’Inde.

L’entreprise, déjà très active sur les réseaux sociaux, s’est aussi lancée dans une importante offensive publicitaire en faveur de son pipeline en misant sur les retombées économiques au Québec et la création d’emplois.

Qui plus est, elle a actuellement pas moins de 22 lobbyistes inscrits au registre québécois, dont huit lobbyistes-conseils rémunérés pour leurs services auprès des élus du gouvernement Couillard.

 

Certains sont d’ailleurs des proches des libéraux. D’autres sont chargés de représenter l’entreprise auprès du gouvernement Trudeau. L’ex-premier ministre Jean Charest a été du nombre.


1570
C’est l’équivalent de 1570 wagons de pétrole chaque jour que transporterait le pipeline Énergie Est, selon TransCanada, soit l’équivalent de 22 convois comme celui qui a déraillé et explosé à Lac-Mégantic en 2013.

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