TransCanada revoit son tracé au Québec
Si le gouvernement Trudeau donne son accord, TransCanada construira 650 kilomètres d’oléoduc au Québec afin d’exporter du pétrole albertain dès 2020. En prévision de la construction d’Énergie Est, l’entreprise a d’ailleurs déjà commencé à contacter les propriétaires des terrains où passera son tuyau. S’il se concrétise, le projet créera 33 emplois directs lors de la phase d’exploitation, prévue pour plus de 40 ans.
Moins d’une semaine après la conclusion du sommet de Paris sur le climat, la pétrolière vient de déposer à l’Office national de l’énergie (ONE) la version « modifiée » de son projet d’oléoduc, qui fera du Québec un allié stratégique de la croissance de l’industrie des sables bitumineux. Aucun document équivalent ne sera présenté au gouvernement du Québec.
La documentation, très technique et disponible uniquement en anglais sur le site de l’ONE, précise ainsi que le tracé a été révisé au Québec entre Lévis et la frontière avec le Nouveau-Brunswick, à la suite de l’abandon du projet de port à Cacouna. TransCanada indique tout de même, dans des documents publiés sur son site, que des « évaluations » se poursuivront, afin d’étudier « la viabilité d’un projet de terminal maritime au Québec, comme projet subséquent par Énergie Est ».
Avec ou sans port au Québec, l’oléoduc d’un mètre de diamètre traversera la province sur une distance de 625 kilomètres. À cela s’ajoutent deux oléoducs connexes qui permettront d’acheminer du pétrole vers la raffinerie de Suncor, à Montréal, et celle de Valero, à Lévis.
281 pétroliers
Compte tenu de la capacité de raffinage de ces usines et aussi de l’arrivée de pétrole par l’oléoduc 9B d’Enbridge, la vaste majorité du pétrole coulera vers le Nouveau-Brunswick. Une partie sera traitée par Irving, tandis que le reste sera exporté vers l’Europe et l’Inde. TransCanada estime que 281 pétroliers chargeront du brut pour l’exportation chaque année.
Globalement, souligne-t-on, Énergie Est « permettra l’expansion et la diversification en temps opportun des marchés pour le pétrole canadien ». Selon les prévisions de l’industrie des énergies fossiles, la production pétrolière au pays devrait en effet continuer de croître, pour atteindre près de six millions de barils par jour en 2030.
Comme l’oléoduc doit être opérationnel d’ici la fin de 2020, selon TransCanada, la construction devrait s’échelonner au Québec sur environ 24 mois, une fois l’autorisation accordée par le gouvernement Trudeau. Selon l’« analyse économique » réalisée par la pétrolière, la phase de construction devrait générer ici près de 2000 emplois directs. Lors de la phase d’exploitation, prévue pour « plus de 40 ans », les emplois directs se chiffrent à 33.
La construction de cet oléoduc — plus important que le très controversé Keystone XL — obligera par ailleurs TransCanada à acquérir des terrains appartenant à des propriétaires privés au Québec. Selon les documents soumis à l’ONE, ils seraient plus de 1800. Et même si l’évaluation environnementale n’a toujours pas débuté, la multinationale en a déjà contacté plusieurs pour leur donner de l’« information » sur le projet, mais aussi pour les inviter aux événements organisés par la pétrolière pour présenter Énergie Est.
L’entreprise se montre d’ailleurs rassurante dans la présentation du plus important projet d’oléoduc en développement en Amérique du Nord. Selon une évaluation environnementale menée à sa demande par une firme privée, les « effets résiduels » du projet sont jugés « non significatifs ».
Toujours selon la documentation présentée par l’entreprise albertaine, une fuite dans l’oléoduc pourrait être stoppée en 13 minutes. Ce temps de réaction serait suffisant pour laisser fuir près de 10 000 barils de pétrole, soit 1,6 million de litres de brut des sables bitumineux.
Malgré les recherches effectuées jeudi dans les milliers de pages de documents présentant le projet de TransCanada, il n’a pas été possible de préciser le nombre exact de cours d’eau qui seront traversés par l’oléoduc au Québec. Selon la version préliminaire, quelque 641 cours étaient franchis, dont plusieurs servent de sources d’eau potable aux principales municipalités du Québec.
Aucun examen
Chose certaine, l’oléoduc doit toujours traverser le fleuve Saint-Laurent, un peu en amont de Québec. D’ailleurs, le gouvernement Couillard a déjà autorisé la pétrolière à mener des travaux préliminaires dans le secteur de la traversée, situé à Saint-Augustin-de-Desmaures. Ces travaux, réalisés en périphérie d’une réserve naturelle protégée, comprenaient des levés sismiques.
Aucun examen environnemental indépendant n’a toutefois été mené pour Énergie Est. Selon les règles en vigueur au fédéral, règles mises en place par le gouvernement Harper, c’est l’Office national de l’énergie qui étudiera le projet. Son mandat l’autorise à déterminer qui peut participer aux audiences publiques, en plus d’exclure tout examen des gaz à effet de serre liés à la production pétrolière.
Le premier ministre Justin Trudeau a promis de revoir le processus d’évaluation des oléoducs menés sous l’égide de l’ONE, mais rien n’a encore été annoncé à ce sujet. On ignore donc si les règles seront revues pour l’étude du projet Énergie Est.
Le gouvernement Couillard a pour sa part annoncé son intention de mandater le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement pour étudier le projet. L’organisme indépendant devra toutefois mener les audiences sans avoir en main une étude d’impact du projet, comme cela se fait habituellement au Québec.
TransCanada a en effet refusé de déposer un avis de projet au gouvernement du Québec, malgré les demandes faites en ce sens. Le gouvernement Couillard a donc décidé de ne pas l’exiger. Québec n’évaluera pas non plus les émissions de gaz à effet de serre résultant de la production du pétrole qui coulera dans l’oléoduc pendant plus de 40 ans.