Un accord historique… et insuffisant

C’est dans l’euphorie que les dirigeants ont adopté l’Accord de Paris, samedi. Ci-dessus, Christiana Figueres, la chef des Nations unies pour la question climatique (au centre), faisant une accolade à la déléguée française Laurence Tubiana, et au président de la COP21, Laurent Fabius.
Photo: François Mori Associated Press C’est dans l’euphorie que les dirigeants ont adopté l’Accord de Paris, samedi. Ci-dessus, Christiana Figueres, la chef des Nations unies pour la question climatique (au centre), faisant une accolade à la déléguée française Laurence Tubiana, et au président de la COP21, Laurent Fabius.

Pour la première fois de l’histoire, la communauté internationale est parvenue samedi à s’entendre sur un accord global de lutte contre les changements climatiques, au terme d’années de négociations particulièrement difficiles. Mais l’entente conclue n’est pas, pour le moment, suffisante pour éviter les impacts dévastateurs des bouleversements du climat provoqués par notre dépendance aux énergies fossiles.

Les 195 États présents à la Conférence de Paris (COP21) ont donc entendu les appels répétés du président du sommet, Laurent Fabius, qui a plusieurs fois souligné l’importance de faire des « compromis » pour parvenir à un accord qui se veut tout de même « ambitieux ».

Parmi les éléments cruciaux de cette entente, on fixe d’abord un défi majeur : maintenir l’augmentation prévisible de la température « bien en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels », tout en promettant de « poursuivre les efforts pour limiter la hausse des températures à 1,5 °C ». Une demande chère aux pays les plus vulnérables aux impacts des changements climatiques.

Mais quelle que soit la cible qui serait respectée, les efforts pour y parvenir seront colossaux. Il faudrait réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) de 40 à 70 % d’ici 2050 (et les faire disparaître en 2100) pour espérer rester sous 2 °C, et les baisser de 70 à 95 % pour rester sous 1,5 °C, selon le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC).

Or, les objectifs annoncés en prévision de la COP21 par 186 pays placent actuellement la planète sur une trajectoire de hausse de près de 3 °C, tandis que les émissions mondiales doivent continuer de croître au cours des prochaines années. Pour corriger le tir, les pays se sont engagés à revoir les engagements tous les cinq ans. Le problème, c’est que la première révision devrait intervenir dans seulement dix ans, soit en 2025.

Aide financière

 

Selon le libellé du document adopté par consensus, l’aide promise aux pays en développement a été inscrite comme le souhaitaient ces derniers. Depuis 2009, les pays développés promettent de financer un fonds devant atteindre 100 milliards de dollars par année d’ici 2020 pour aider les pays en développement à s’adapter aux changements climatiques et à amorcer la transition énergétique vers une économie faible en carbone. Qui plus est, cette somme est désormais « un plancher », selon la formulation inscrite dans l’accord. Les 100 milliards seront d’ailleurs révisés « avant 2025 ». Ce sont toujours les pays développés qui doivent contribuer à ce Fonds vert.

Le projet d’accord reconnaît également la responsabilité différenciée des pays, comme cela est inscrit à la Convention de l’ONU depuis 1992. Cela signifie que les pays riches, historiquement responsables des bouleversements climatiques, doivent faire davantage d’efforts pour lutter contre la crise climatique mondiale.

Sur le point très sensible des « pertes et préjudices » que subissent déjà des pays en raison des effets des bouleversements climatiques, l’accord de Paris ne prévoit pas de compensations financières pour ces États, comme plusieurs le réclament. Le texte se contente de mentionner que les parties « devraient renforcer l’entente, l’action et le soutien » sur cette question. Il exclut toute « responsabilité ou compensation » des pays du Nord pour les préjudices subis par les pays en développement.

Accord insuffisant

 

Même s’il a été salué, l’accord « historique » de Paris a été jugé insuffisant pour parvenir à freiner un réchauffement planétaire déjà bien engagé « Comment allons-nous atteindre ce nouvel objectif de 1,5 °C ? a résumé le directeur de Greenpeace international, Kumi Naidoo. Les mesures décrites dans ce texte ne nous donnent pour l’instant aucun moyen concret d’y parvenir. Les objectifs de réduction des émissions sur la table ne sont tout simplement pas assez ambitieux, et l’accord ne prévoit pas de solutions satisfaisantes pour y remédier. »

« L’accord demeure incomplet en ce qui a trait à certains sujets tels que l’assurance de dédommagements pour les pays qui ressentent déjà les effets des changements climatiques et la responsabilité à l’égard d’émissions antérieures. Ces lacunes, entre autres, devront être comblées à l’avenir », a souligné par sa part la Fondation David Suzuki.

Pour Équiterre, l’accord de Paris donne un « signal fort » en faveur d’une transition « vers 100 % d’énergies renouvelables d’ici 2050 ». Même son de cloche du côté du porte-parole de Greenpeace au Québec, Patrick Bonin, qui estime que « le Canada doit maintenant tourner le dos aux combustibles fossiles et entrer dans l’ère des énergies renouvelables. Cela signifie que nous devrons rejeter les pipelines de sables bitumineux et les autres infrastructures polluantes ».

Pour le réputé scientifique James Hansen, qui a travaillé au GIEC et à la NASA, l’accord international est tout simplement une « fraude », puisqu’il se contente de « promesses », mais sans « actions » suffisantes pour éviter le naufrage climatique. « Tant que les combustibles fossiles continueront d’être la source d’énergie la moins chère, ils seront brûlés », a d’ailleurs souligné M. Hansen. Ce dernier a déjà fait valoir que si le Canada continue d’exploiter les sables bitumineux, il sera impossible de lutter contre les bouleversements climatiques qui menacent l’avenir de l’humanité.

Pour entrer en vigueur en 2020, l’accord devra par ailleurs avoir été ratifié, accepté ou approuvé par au moins 55 pays représentant au moins 55 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Mais, « à tout moment après un délai de trois ans à partir de l’entrée en vigueur de l’accord », tout pays pourra s’en retirer, sur simple notification. C’est ce que le Canada a fait pour le protocole de Kyoto.

Les objectifs de réduction des émissions sur la table ne sont tout simplement pas assez ambitieux.

Les plans nationaux manquent de tonus

La quasi-totalité des pays (186) ont remis à l’ONU leurs engagements de réduction des gaz à effet de serre (GES) à l’horizon 2025-2030, des promesses qui restent insuffisantes pour contenir le réchauffement sous le seuil des +2 °C. Si tous ces engagements étaient tenus, la planète se réchaufferait de +3° par rapport au niveau préindustriel, contre +4 à 5° si rien n’était fait. Tour d’horizon.

Chine Le premier émetteur mondial (environ un quart des émissions) s’est engagé, pour la première fois, à plafonner ses émissions de GES, au plus tard en 2030, après avoir été longtemps sur la défensive au nom de ses impératifs de développement. À la fois premier consommateur mondial de charbon, énergie la plus dommageable, et premier investisseur dans les énergies renouvelables, il veut réduire de 60 à 65 % son « intensité carbone » (émissions de CO2 rapportées à la croissance) en 2030 par rapport à 2005.

États-Unis Le deuxième pollueur mondial veut réduire de 26 à 28 % ses émissions d’ici à 2025 par rapport à 2005. Un objectif en deçà de celui des Européens, mais au-delà des précédentes contributions américaines.

Union européenne Début mars, l’UE (environ 10 % des émissions, 3e rang) a été la première à transmettre son plan : réduire d’au moins 40 % d’ici à 2030 ses émissions par rapport à 1990. Le pôle de recherche Climate Action Tracker juge ce niveau d’engagement « moyen ».

Inde Le pays a promis de réduire son « intensité carbone » de 35 % d’ici 2030 par rapport au niveau de 2005, mais sans fixer d’objectif de réduction globale des émissions. L’Inde compte sur les énergies renouvelables (40 % de son électricité d’ici 2030), tout en reconnaissant sa dépendance au charbon (doublement de production prévu d’ici 2020).

Russie Le 5e émetteur assure viser moins 25 à 30 % entre 1990 et 2030. Mais si l’on retire l’effet positif généré par ses vastes forêts, ce n’est plus qu’une réduction des émissions de GES industriels de 6 à 11 %, souligne le Climate Action Tracker, qui évoque un effort « inadapté ».

Japon Le 6e émetteur veut réduire ses émissions de 26 % entre 2013 et 2030, en comptant sur le retour de l’énergie nucléaire, inutilisée depuis Fukushima.

Brésil Le responsable de 2 % des émissions a annoncé qu’il entendait réduire de 43 % ses émissions d’ici à 2030 par rapport à 2005, en diversifiant ses sources d’énergies renouvelables. Le plan a été plutôt bien accueilli.

Canada Le gouvernement conservateur, qui avait décidé de sortir du protocole de Kyoto, avait annoncé une réduction des émissions de 30 % d’ici 2030 par rapport à 2005. Une contribution jugée insuffisante. Le nouveau gouvernement libéral a promis de revoir la copie.

Autres De nombreux pays en développement ont émis des engagements, souvent conditionnés à la mise en place d’aides. Sur l’ensemble, la copie de l’Éthiopie et celle du Maroc comptent parmi les rares qualifiées de « suffisantes » par les ONG.


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