Capter le CO2 ou rater la cible

Le recours à des stratégies visant à capter du CO2 et à le stocker en lieu sûr est incontournable pour ne pas dépasser la cible des 2 degrés de réchauffement du climat d’ici 2100, affirme Claude Villeneuve, directeur de la chaire en éco-conseil de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC).

« Même si la COP21 donne de bons résultats, nous ne serons pas en mesure d’atteindre cette cible sans déployer massivement des techniques de captage et de stockage. Pour limiter à 2 °C le réchauffement d’ici 2100, nous devons émettre un peu moins de 900 millions de tonnes de CO2. Or, au rythme auquel s’accroissent nos émissions, cela représente 15 à 18 ans », estime-t-il.

Pour réduire le CO2 émis dans l’air, l’auteur de Est-il trop tard ?, publié aux éditions MultiMondes, propose de se tourner vers la photosynthèse, « la plus ancienne et la plus efficace des méthodes de captage du CO2 déjà présent dans l’atmosphère ».

« La fixation du CO2 par la photosynthèse peut se faire par des plantations ou le développement d’écosystèmes forestiers dans des endroits qui en sont dépourvus actuellement », fait-il valoir. Ces démarches ne doivent toutefois pas nuire à la production alimentaire qui, compte tenu de l’augmentation de la population mondiale, est en voie d’engendrer une pénurie de terres arables.

Pour ce faire, M. Villeneuve propose d’implanter des écosystèmes forestiers en zone boréale, là où il n’y a pas d’autres activités agricoles. « Le réchauffement observé va nous permettre de boiser des zones où il n’y a pas de forêts aujourd’hui, et ce, aussi bien au Canada qu’en Russie. Le bois produit par ces arbres pourrait ensuite servir à des usages durables, comme la construction de maisons », suggère le biologiste, qui y voit une solution très appropriée pour le Québec.

Une étude de la Chaire en éco-conseil de l’UQAC estime que le boisement de 400 000 hectares en 20 ans dans le Nord québécois permettrait d’absorber jusqu’à 8 % des émissions du secteur industriel québécois après 45 ans. Mis sur pied par cette chaire, le programme de compensation de gaz à effet de serre Carbone boréal (carboneboreal.uqac.ca) tente de recueillir les fonds nécessaires à la réalisation de ce projet.

Des plantations pourraient aussi servir à fabriquer un biocharbon, produit par pyrolyse, générant un carbone stable et insoluble. Cette matière pourrait ensuite être intégrée aux sols agricoles pour favoriser la croissance des bactéries, la rétention d’eau et une libération plus lente des engrais, autant de facteurs favorisant la bonne santé des plantes.

Ensemencement des océans

 

La fertilisation des océans est une autre stratégie envisagée pour retirer le CO2 de l’atmosphère et le séquestrer durablement. Certains chercheurs ont proposé de saupoudrer les eaux de surface des océans avec de la limaille de fer afin de stimuler la prolifération des algues et du phytoplancton. Ces deux types d’organismes, lors de la photosynthèse, captent et fixent du CO2 sous forme de biomasse qui alimente la chaîne alimentaire océanique. Le carbone ainsi capté et intégré aux organismes marins se retrouvera sur le plancher des océans lorsque ces derniers mourront. « L’efficacité de cette méthode reste toutefois très discutable. Et un moratoire a été imposé sur cette technique en raison d’importantes incertitudes scientifiques sur son innocuité pour l’environnement », explique Claude Villeneuve dans son livre.

Des arbres artificiels

 

Le professeur Klaus Lackner, de l’Université Columbia, aux États-Unis, a pour sa part évoqué l’idée de concevoir des arbres artificiels, composés d’une résine pouvant adsorber le CO2 de l’air. Une fois saturé en CO2, l’arbre doit alors être trempé dans l’eau où la résine sera régénérée et un CO2 pur libéré et ensuite acheminé vers un lieu de stockage géologique.

Capter à la source

Comment récupérer le CO2 produit par nos usines, cimenteries, incinérateurs et autres centrales thermiques dans l’atmosphère ? Plusieurs équipes de recherche à travers le monde planchent sur des solutions diverses pour capter, puis stocker le carbone, et certaines sont déjà à l’œuvre.

Le principal défi pour capter le CO2 recraché par les usines réside dans la séparation du CO2 et de l’azote, affirme Jamal Chaouki, professeur à l’École polytechnique de Montréal. Car la combustion, effectuée en présence d’air (contenant 79 % d’azote), produit non seulement du CO2, mais aussi de l’azote et de la vapeur d’eau. Autant d’élements qui doivent être séparés à divers moments du processus.

Avant la combustion. Brûler les hydrocarbures à l’oxygène pur permet d’éliminer la production d’azote. Dans ce procédé, le CO2 est isolé de l’eau en abaissant la température pour condenser la vapeur d’eau. « Cette solution coûte toutefois excessivement cher car l’oxygène pur est très dispendieux », prévient Jamal Chaouki qui titulaire de la Chaire de recherche CRSNG/Total.

Pendant la combustion. Cette méthode consiste à introduire l’hydrocarbure dans un premier réacteur, et l’air dans un second compartiment. Séparés par un solide qui sert à fixer puis transporter l’oxygène vers un hydrocarbure, ce processus, testé sur 700 solides différents, ne s’est pas encore avéré vraiment efficace.

Après la combustion. Utilisée par de nombreuses industries, c’est la technique la plus au point. Les gaz de combustion sont plongés dans une solution d’amines pour dissoudre le CO2 et éliminer l’azote sous forme gazeuse. La solution chauffée permet de libérer le CO2 sous forme de gaz (désorption). « Il faut chauffer le liquide et refroidir plusieurs fois, ce qui exige d’énormes grandes quantités d’énergie, fait remarquer M. Chaouki. Une centrale thermique au charbon ainsi équipée consomme 20 à 25 % de son énergie pour séparer le CO2, le comprimer puis le stocker. Or, le charbon extrait pour ce faire cause plus de torts que de laisser échapper le CO2 dans l’atmosphère. » Bref, actuellement, la meilleure façon de réduire nos émissions, pense M. Chaouki, reste de consommer moins pour économiser l’énergie.

Le stockage, gagnant à certaines conditions

Une fois le fameux CO2 capté, comment le stocker ? À l’heure actuelle, certaines industries le séquestrent sous le plancher océanique, d’autres, dans des puits de pétrole taris.

En 1996, la norvégienne Statoil a été pionnière dans l’enfouissement du gaz carbonique sur la plate-forme Sleipner. En pleine mer du Nord, la compagnie — qui extrait un gaz naturel trop riche en gaz carbonique pour ses clients — sépare le CO2 en excès grâce à des solutions d’amines. Le CO2 recueilli est ensuite injecté dans une couche géologique située à 800 mètres sous le plancher océanique, un aquifère salin. « Les formations géologiques ne sont pas toutes propices au stockage du CO2. Les aquifères salins sont plus sécuritaires, car ils permettent la minéralisation du CO2 de façon permanente », fait remarquer Claude Villeneuve, de l’UQAC.

Cette démarche, très coûteuse, n’est possible que dans les pays qui taxent le carbone, comme la Norvège. « Depuis 1991, ce pays impose une taxe de 90 $ pour chaque tonne de CO2. La compagnie devrait payer 90 millions de taxes pour le million de tonnes de CO2 qu’elle séquestre annuellement. De plus, comme la Norvège est membre du marché européen du carbone, elle vend ses émissions de CO2 évitées. [C’est] tellement rentable que la compagnie envisage de continuer à utiliser la plate-forme quand les réserves de gaz seront épuisées pour y acheminer par pipeline le CO2 de centrales situées sur le continent, et l’enfouir dans les aquifères salins sous la plate-forme », précise M. Villeneuve, qui croit que de telles politiques sont nécessaires pour inciter les industriels à capter et stocker le CO2 qu’elles génèrent.

Certains puits de pétrole taris sont aussi utilisés pour stocker du gaz carbonique. Une méthode qui laisse plusieurs scientifiques sceptiques, inquiets que la pression du CO2 injecté sous terre génère des fuites, modifie les formations rocheuses et engendre des micro-tremblements. « Cela peut aussi entraîner la migration des hydrocarbures avoisinants, du CO2 ou de composés toxiques, comme l’arsenic, qui pourraient ainsi se retrouver en circulation dans les eaux souterraines », avance le professeur de l’UQAC.

En Saskatchewan, on injecte depuis 15 ans le CO2 issu d’une usine de gazéification du charbon du Dakota du Nord dans les puits du champ pétrolifère de Weyburn. Pas pour limiter les émissions, mais pour recueillir plus de pétrole. « Chaque tonne de CO2 pompée [dans le puits] permet de retirer six barils de pétrole. Il y a un avantage économique, mais la séquestration n’est pas pour autant garantie, car on s’est rendu compte que des fissures étaient peut-être à l’origine de fuites de gaz », indique M. Villeneuve.

À son avis, seul le stockage dans des aquifères salins est vraiment sécuritaire.

Est-il trop tard ? Le point sur les changements climatiques

Claude Villeneuve, Éditions MultiMondes, 2013, 312 pages



À voir en vidéo