Trois nations autochtones veulent protéger le fleuve

Trois nations autochtones du Québec pressent les partis politiques fédéraux à s’engager à interdire tout projet d’exploration pétrolière dans le golfe du Saint-Laurent, jugeant cet écosystème « précieux et essentiel ». Elles n’excluent d’ailleurs pas le recours aux tribunaux si les gouvernements persistent dans leur quête avouée d’or noir en milieu marin.
« Je ne suis pas un environnementaliste, je suis seulement une personne réaliste. Et je ne peux pas imaginer qu’on veuille aller forer le fond du golfe, malgré tous les risques pour l’environnement, mais aussi les menaces que cela représente pour les moyens d’existence des autochtones et des non autochtones dans cinq provinces », a expliqué mercredi au Devoir le chef des Innus d’Ekuanitshit, Jean-Charles Piétacho.
M. Piétacho se souvient d’ailleurs des impacts « importants » du déversement de seulement 5000 litres de mazout dans la baie de Sept-Îles, en 2013. « Clairement, personne n’était prêt pour intervenir. Qu’est-ce que ce serait avec un déversement plus important ? »
Selon les nations innue, malécite et micmaque, les conséquences de tout déversement pétrolier au coeur du golfe seraient donc « désastreuses » pour la pêche commerciale. Or, cette activité génère des bénéfices de l’ordre de 1,5 milliard par année autour du golfe. Quant au tourisme lié à cette région maritime, il engendre des bénéfices annuels de plus de 800 millions.
Les risques ne se limitent d’ailleurs pas à la phase d’exploitation, a rappelé le chef Scott Martin, des Micmacs de Listuguj. « L’explosion de Deepwater Horizon dans le golfe du Mexique il y a cinq ans faisait suite à un forage exploratoire, comme ce que les provinces entendent autoriser. »
Jean-Charles Piétacho a par ailleurs souligné que les nations autochtones n’excluent pas de recourir aux tribunaux si les gouvernements persistent à vouloir ouvrir le golfe à l’exploration pétrolière. « Nous allons considérer toutes les options, a-t-il dit. Si la voie juridique est la seule option qu’il nous reste, nous serons prêts à l’utiliser. »
Ils pourraient s’inspirer des démarches entreprises par les Micmacs, qui viennent de lancer une poursuite contre le gouvernement du Nouveau-Brunswick. Ils souhaitent ainsi faire connaître leur opposition au transport de pétrole albertain par train sur le territoire, à destination du futur port d’exportation de Belledune. Ils affirment ne pas avoir été consultés dans le cadre de l’élaboration du projet. Des autochtones de l’Ouest canadien ont mis de l’avant des arguments similaires l’an dernier.
La prise de position réitérée par les Premières Nations survient alors que Québec a franchi le mois dernier une étape majeure en vue d’ouvrir le golfe du Saint-Laurent aux foreuses. Le gouvernement Couillard a en effet déposé le projet de loi qui permet de concrétiser la « gestion conjointe » du dossier avec le fédéral.
Les entreprises qui voudront chercher d’éventuels gisements d’énergies fossiles devront notamment démontrer qu’elles détiennent les ressources financières nécessaires pour payer la somme de 1 milliard de dollars en cas de désastre environnemental. La tragédie humaine et environnementale provoquée par l’explosion de la plateforme de BP dans le golfe du Mexique, en 2010, a coûté plus de 50 milliards de dollars à la pétrolière.
Jusqu’à présent, une seule entreprise a démontré son intérêt à mener des travaux d’exploration. Il s’agit de Corridor Resources, qui détient des permis dans le secteur Old Harry, à 80 kilomètres des îles de la Madeleine. Aucun forage n’a été mené jusqu’à présent. Au cours des dernières décennies, d’autres forages ont été réalisés par diverses entreprises, sans succès.
Risques multiples
Au-delà de la bonne entente politique entre libéraux et conservateurs sur l’exploration pétrolière, les risques environnementaux d’une telle industrie sont bien réels, selon ce qui se dégage d’une évaluation environnementale stratégique (EES) menée par Genivar à la demande de l’ancien gouvernement libéral.
Le rapport, rendu public en septembre 2013, conclut qu’il demeure « plusieurs lacunes » dans l’état actuel des connaissances sur le golfe. Les carences concernent les technologies d’exploration et d’exploitation, les composantes des milieux physique, biologique et humain, ainsi que les « effets environnementaux potentiels des activités d’exploration et d’exploitation, ainsi que des déversements accidentels ».
Le document met en lumière notre incapacité à répondre à une éventuelle marée noire et les données nous manquent pour bien évaluer le mouvement et les aires de fréquentation des espèces menacées. Bref, « plusieurs données factuelles précises ne sont actuellement pas disponibles », ce qui ne permet pas de mesurer les véritables impacts environnementaux, même au moment de l’exploration.
Malgré les conclusions de ce rapport, Québec a décidé d’inclure le cas du golfe dans une nouvelle EES lancée en juin pour toute la filière des hydrocarbures. Cette étude est dirigée par des membres du gouvernement Couillard. Son rapport doit être achevé cet automne.
Un déversement provoqué par l’exploitation pétrolière maritime dans le secteur d’Old Harry menacerait tout l’est du golfe du Saint-Laurent, mais aussi les îles de la Madeleine, concluait l’an dernier la première étude scientifique indépendante sur le sujet.