La fin des bélugas?

Selon l’évaluation la plus précise, les bélugas ne seraient aujourd’hui pas plus de 880 à nager dans les eaux du Saint-Laurent.
Photo: La Presse canadienne (photo) Darryl Dyck Selon l’évaluation la plus précise, les bélugas ne seraient aujourd’hui pas plus de 880 à nager dans les eaux du Saint-Laurent.

Espèce emblématique du Saint-Laurent, le béluga est au plus mal. La population subit en fait un déclin rapide depuis une décennie. La gravité de la situation est telle que ces baleines blanches pourraient être classées « en voie de disparition » au cours des prochains mois, a appris Le Devoir. L’effet combiné de la pollution et des changements climatiques pourrait en effet conduire ces mammifères à l’extinction.

 

« La situation des bélugas est alarmante », affirme sans détour Robert Michaud, le président du Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins. Un constat qui s’appuie sur le portrait scientifique le plus complet jamais produit de l’état de la population de bélugas du Saint-Laurent. Tous les chercheurs qui étudient l’espèce, son milieu et les contaminants qui affectent les animaux ont en effet mis en commun une longue série de données qui précisent la trajectoire de ces petites baleines depuis qu’elles font l’objet d’un suivi, soit 1980.

 

Leurs conclusions, qui doivent être rendues publiques par Pêches et Océans Canada dans quelques jours, n’ont rien de réjouissant. « Le modèle qui a été construit nous indique qu’il y a une population qui, de la fin des années 1980 jusqu’au début des années 2000, se maintenait tout juste autour de 1000 individus, et qui a peut-être augmenté à 1100 individus. Mais dès le début des années 2000, la population a commencé à décliner, et elle continue son déclin assez rapide depuis », explique M. Michaud, lui-même un pionnier de la recherche sur le Saint-Laurent.

 

880 individus

 

Selon l’évaluation la plus précise, les bélugas ne seraient aujourd’hui pas plus de 880 à nager dans les eaux du Saint-Laurent. C’est une baisse d’au moins 12 % sur une décennie. M. Michaud admet d’ailleurs que les chercheurs ont été surpris par l’ampleur du recul, d’autant plus que le nombre d’individus aurait normalement dû augmenter de façon importante depuis 30 ans. « Si la population était en bonne santé, elle aurait dû doubler depuis 1980, soit depuis que l’espèce est protégée, pour atteindre au moins 2000 individus », précise-t-il.

 

La situation est d’autant plus inquiétante que les dernières années ont été marquées par une « baisse dramatique » du nombre de naissances et par des mortalités importantes de nouveau-nés ou de jeunes bélugas. Une conjoncture qui risque d’accélérer le déclin déjà amorcé. Depuis que les scientifiques récupèrent les carcasses d’animaux, de zéro à trois jeunes étaient retrouvés chaque année. Ce nombre est passé à huit en 2008, puis à 16 en 2012. Qui plus est, on retrouve désormais davantage de femelles mortes au moment de l’accouchement. Jusqu’en 2007, environ 10 % des femelles retrouvées mortes chaque année succombaient ainsi. Ce taux est passé à 60 % depuis deux ans.

 

«En voie de disparition»

 

Bref, la table est mise pour une révision du statut de cette population de bélugas. Celle-ci est désignée comme « menacée » depuis mai 2004. Le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada, de compétence fédérale, doit cependant réévaluer la situation au cours des prochains mois. « À la lumière des dernières informations, il est probable que le statut passe de “ menacée” à “en voie de disparition”, qui est le statut le plus alarmant », estime Robert Michaud. C’est aussi le dernier échelon avant le statut « disparue ».

 

Chercheuse à l’Institut Maurice-Lamontagne et spécialiste des mammifères marins, Véronique Lesage juge que « rien n’indique que la population pourrait se porter mieux à court terme ». Les obstacles au rétablissement de l’espèce sont en effet nombreux. « Le béluga du Saint-Laurent est une des espèces animales les plus contaminées au monde. Les animaux déjà fragilisés sont aussi exposés de façon chronique à du dérangement dans leur habitat, surtout en raison du trafic maritime », explique-t-elle.

 

Les changements climatiques semblent aussi affecter ces baleines qui font la joie des touristes qui sillonnent le Saint-Laurent. Les températures des eaux de l’estuaire et du golfe étant bouleversées, on constate des effets sur la distribution et l’abondance des proies, mais aussi sur le couvert de glace dont dépendent les femelles pour se protéger des tempêtes hivernales. Mme Lesage doute d’ailleurs de la capacité d’adaptation des bélugas à ces transformations qui surviennent très rapidement.

 

La fin de la recherche

 

D’autres phénomènes difficiles à prévoir pourraient en outre mener le cheptel à l’extinction totale, prévient Robert Michaud. « Plusieurs choses pourraient les faire disparaître, par exemple une épidémie virale ou une série de marées d’algues toxiques. »

 

Il est donc plus que jamais important de suivre l’évolution de la population, selon lui. « Les constats des chercheurs sont aussi un appel à maintenir la vigilance scientifique, parce que les bouleversements qui s’en viennent seront probablement plus importants encore que ce à quoi les bélugas ont été soumis jusqu’à maintenant. »

 

Le hic, c’est que le gouvernement Harper a sabré les programmes de recherche sur le Saint-Laurent. Parmi les postes supprimés, on compte un spécialiste qui était à la tête d’un important programme de recherche sur les bélugas. Et depuis cette année, le fédéral ne finance plus de programme de recherche sur les contaminants qui affectent ces mammifères marins. Ces compressions surviennent au moment où de nouveaux risques environnementaux se profilent à l’horizon, dont l’exploitation pétrolière dans le Saint-Laurent. « Tout recul dans les programmes de recherche et de suivi scientifiques nous renvoie vers l’obscurité », déplore M. Michaud.

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