Le climat menace les fous de Bassan

L'accès de plus en plus difficile aux poissons constitue un problème majeur pour les fous de Bassan.
Photo: Agence France-Presse (photo) Marcel Mochet L'accès de plus en plus difficile aux poissons constitue un problème majeur pour les fous de Bassan.

Les oiseaux marins de la planète souffrent de plus en plus des effets des bouleversements climatiques provoqués par l’activité humaine, qui les privent de leur nourriture et accélèrent la destruction de leurs habitats. Des espèces bien connues au Québec pourraient d’ailleurs être menacées, notamment le fou de Bassan.

 

Sur l’île Bonaventure, au large de Percé, le début du mois de juin marque le début de la saison d’observation pour les chercheurs qui suivent de près la plus importante colonie de fous de Bassan du Canada, avec ses quelque 50 000 couples. Mais cette année, les spécialistes retiennent leur souffle, après une année 2012 particulièrement désastreuse en termes de reproduction.


« Il y a eu un véritable crash des populations de fous de Bassan. On a commencé à voir des oisillons qui n’étaient pas accompagnés d’un adulte, ce qui est extrêmement rare chez le fou de Bassan. Il y a eu une mortalité très importante. En fait, le succès de reproduction a été de moins de 8 % dans cette colonie, alors que le taux se situe habituellement au-dessus de 50 %, voire 70 %. C’est beaucoup plus bas que le seuil de recrutement d’une population. Il ne faudrait pas qu’il y ait souvent des années comme celle-là », explique Jonathan Verreault, professeur au Département des sciences biologiques et du Centre de recherche en toxicologie de l’environnement de l’UQAM. Cette colonie avait déjà perdu 12 300 couples nicheurs entre 2009 et 2011, soit 20 % de la colonie.

 

L’accès aux poissons


Même s’il est difficile d’identifier précisément les facteurs qui ont pu nuire à ce point à ces grands oiseaux blancs, il semble bien que le principal obstacle ait été l’accès aux poissons dont se nourrissent les fous. « Ça semble lié à la température des eaux du golfe du Saint-Laurent. Selon les données, les eaux de surface ont eu une température de trois à quatre degrés de plus que la moyenne. » Une tendance qui semble d’ailleurs vouloir s’installer.


Cette hausse durable de la température de l’eau chasse certains poissons vers les profondeurs, donc hors d’atteinte des fous de Bassan. D’autres, comme le maquereau, migrent vers le nord du golfe, très loin de l’île Bonaventure. « On a constaté que les adultes ont fait de très longs allers-retours pour se procurer de la nourriture, même aussi loin que la Côte-Nord », souligne M. Verreault. Des oisillons sont donc restés seuls pendant des jours et sont morts de faim ou ont été tués par des prédateurs. Dans certains cas, leurs parents ne sont jamais revenus.


La nécessité pour les fous de s’éloigner toujours plus de leur lieu de nidification habituel inquiète le biologiste. « Si cette tendance se maintient en 2013, on peut commencer à craindre pour le statut du fou de Bassan à l’île Bonaventure. Ou peut-être qu’avec le temps, ils vont carrément décider de changer de colonie. Peut-être que l’île ne sera plus un lieu propice pour la reproduction, en raison des problèmes d’accès à la nourriture. » Ce serait une très mauvaise nouvelle pour l’industrie touristique. Chaque année, des milliers de touristes se rendent sur l’île Bonaventure, où ils peuvent observer les couples nicheurs à une distance d’à peine quelques mètres, phénomène rarissime dans le monde.


Outre les menaces climatiques, les fous de Bassan qui viennent nicher en sol québécois doivent affronter les conséquences de la gigantesque marée noire survenue en 2010 dans le golfe du Mexique. Il faut savoir que des jeunes de cette espèce passent leurs premières années dans cette région. Les chercheurs s’attendent à voir revenir ceux qui ont fait la route vers le Sud en 2010 l’an prochain. « Est-ce qu’il va y avoir moins de retours des juvéniles ? Notre hypothèse, c’est que oui. Si les fous de Bassan sont demeurés dans le golfe, ils ont potentiellement été exposés au pétrole et aux solvants utilisés pour disperser la marée noire. Est-ce que les nouveaux reproducteurs vont arriver en force, ou est-ce qu’il n’y en aura pas du tout ? Ça nous inquiète », insiste Jonathan Verreault.

 

Macareux menacés


Une autre espèce souvent observée au Québec, le macareux moine, serait de plus en plus menacée en raison du réchauffement des eaux, qui chasse ses proies habituelles, constate le professeur Tony Diamond, de l’Université du Nouveau-Brunswick. Dans le golfe du Maine, ou cette espèce niche chaque année, ces oiseaux de mer à l’allure comique maigrissent et meurent de faim. Des dizaines d’oiseaux amaigris et vraisemblablement morts de faim ont été retrouvés sur les côtes du Massachusetts et des Bermudes l’hiver dernier. Les experts redoutent la mort de milliers d’oiseaux.


Le taux de survie des oisillons des deux principales colonies du Maine a plongé l’été dernier. En l’absence de harengs, les macareux ont capturé des stromatés, un poisson que l’on retrouve habituellement plus au sud, mais qui se fait de plus en plus présent dans le golfe du Maine. Mais les oisillons ont été incapables de gober cette nouvelle proie, trop grosse et trop ronde pour eux. Plusieurs autres espèces sont menacées en raison du déplacement des poissons dont elles dépendent pour survivre.


Le mois dernier, à l’occasion de la Journée mondiale des oiseaux migrateurs 2013, le Programme des Nations unies pour l’environnement a pour sa part insisté sur la multitude de risques que font peser les changements climatiques sur les habitats des oiseaux migrateurs. « Du fait de la dégradation croissante des habitats naturels des oiseaux migrateurs, certaines espèces risquent de disparaître en l’espace d’une décennie, tandis que d’autres sont confrontées à des pertes de population s’élevant jusqu’à 9 % chaque année. »

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