Nouvelle menace pour le caribou forestier

Ce sont les conclusions auxquelles sont parvenus quatre chercheurs indépendants dans une étude commandée par le gouvernement du Québec et dont Le Devoir a obtenu copie.
L’étude, qui a été remise au ministre des Ressources naturelles et de la Faune (MRNF) le 4 mai dernier, fait un lien direct entre le déclin du caribou forestier et la transformation de son habitat par les activités humaines. « Les taux de recrutement déclinent à travers la région, une conséquence directe de l’augmentation cumulative des dérangements de l’habitat critique », écrivent-ils dans le rapport.
La capacité de survie des femelles est particulièrement pointée du doigt, un problème qui aggrave celui du faible taux de recrutement.
À la question de fond que posent les chercheurs, à savoir si les populations peuvent supporter des impacts plus importants, la réponse est courte et claire : « non », écrivent-ils. « Les quantités actuelles de perturbations de l’habitat critique dépassent déjà ce qui est théoriquement nécessaire à la survie de la population. »
Le groupe de consultation scientifique sur le rétablissement du caribou forestier constate par ailleurs que « le déclin actuel s’amplifiera dans les prochaines années au fur et à mesure que l’habitat s’érodera ».
Ils notent que « ce n’est pas un hasard si les limites australes de l’occupation actuelle du caribou contrastent clairement avec la limite nordique de l’industrie forestière », car les caribous sont « particulièrement adaptés aux paysages dominés par les forêts de conifères matures avec un faible dérangement, alors que c’est précisément le contraire qui se produit avec la gestion de la forêt, combiné aux autres formes d’extraction ».
C’est pourquoi, pour « permettre le rétablissement » du caribou forestier, ils recommandent, dans un premier temps, « d’éviter tout nouveau développement dans les aires connues ou présumément occupées par le caribou forestier ».
Ces aires, qui devraient être protégées pour permettre l’optimisation du rétablissement, se situent principalement au nord du 49e parallèle, dans les régions du Nord-du-Québec et de l’ouest du Saguenay-Lac-Saint-Jean, l’un des secteurs visés par le Plan Nord.
Les chercheurs avaient notamment comme mandat de déterminer les impacts du prolongement de la route 167 qui doit relier Chibougamau aux monts Otish et permettre aux industries de se rendre dans le secteur minier convoité.
Pour eux, les impacts seraient « contre-productifs ». « Les efforts pour contrôler le déclin de la population ne peuvent être efficaces si nous continuons de prolonger le réseau routier dans des habitats jusque-là inaltérés. »
En effet, les caribous « évitent systématiquement » les routes, ce qui entraîne des coupures entre les troupeaux et une perte de territoire supplémentaire pour le caribou. « Le prolongement de la route 167 traverserait une large portion inexploitée de l’aire de répartition du troupeau de Témiscamie à l’est et au nord du lac Mistassini et diviserait de façon effective le troupeau […] Pour ces raisons, et en reconnaissance du statut précaire de la population de Témiscamie, nous ne recommandons pas l’approbation du prolongement proposé de la route 167. »
Conscients, sans doute, de l’improbabilité que le gouvernement se prive de cet important passage, les chercheurs proposent aussi des solutions de rechange. « Si un tel développement devait aller de l’avant, nous recommandons fortement qu’il ne serve qu’exclusivement de corridor de transport, avec un accès contrôlé et sans aucune incursion latérale dans les territoires jusqu’ici imperturbés du troupeau de Témiscamie […] Là où les routes sont considérées comme étant nécessaires, elles devraient être petites, temporaires et être enlevées et restaurées après usage. »
Selon les chercheurs, le moment est critique. « Il y a une certaine urgence d’agir pour la restauration et la conservation des populations de caribous de la baie James, qui ne se redresseront vraisemblablement pas sans actions décisives. »
Oubliés de la campagne
Ces recommandations font écho à celles des Premières Nations et de certains groupes environnementaux, dont Nature Québec et Greenpeace.
Pour Nicolas Mainville, directeur de Greenpeace au Québec, ce dossier tombe à point en pleine campagne électorale où il a été question des caribous séparatistes, mais jamais des vrais caribous. « On parle très peu d’environnement en général dans la campagne, et encore moins de forêt et de conservation. Il faut que tous les partis s’engagent à protéger la vallée de la Broadback, comme les Cris et les groupes environnementaux le réclament depuis si longtemps. »
Le rapport indépendant est signé par Tyler D. Rudolph, Pierre Drapeau, Martin-Hugues St-Laurent et Louis Imbeau, respectivement de l’UQAM, de l’UQAR et de l’UQAT.