La Convention alpine fait école


	La Convention internationale sur la protection des Alpes a engendré huit protocoles qui encadrent le développement économique de cette région afin d’en protéger le caractère naturel et culturel.
Photo: Louis-Gilles Francœur Le Devoir
La Convention internationale sur la protection des Alpes a engendré huit protocoles qui encadrent le développement économique de cette région afin d’en protéger le caractère naturel et culturel.

Peu connue en Amérique, la Convention alpine, signée en 1991 par huit pays européens, est devenue une source d’inspiration à l’échelle internationale. Premier de deux articles.



Les limites des écosystèmes ne coïncident généralement pas avec les frontières des entités politiques. Le cas le plus connu est celui des bassins versants des rivières et des fleuves, qui couvrent entièrement ou partiellement plusieurs municipalités, provinces ou États.


Si les modèles de gestion par bassins versants ont des décennies d’existence, la Convention alpine, signée en 1991 par huit pays européens, a lancé un mouvement similaire, qui essaime ailleurs dans le monde et qui s’avère un outil de développement aussi original que méconnu, même en Europe.


Ce traité, qui a été négocié pendant deux ans avant d’atteindre sa forme définitive, se démarque du droit international classique. D’abord parce que c’est la première convention internationale portant sur la protection d’un massif montagneux, les Alpes. Et aussi par le fait que la Convention ne couvre que des portions des pays signataires.


On mesure le caractère innovateur de cette initiative - qui a déjà 20 ans - si on essaie d’imaginer un équivalent canadien : comme si, en somme, le Québec, l’Ontario et le Manitoba, qui possèdent l’essentiel du Bouclier canadien, de ses forêts boréales et de leurs espèces vivantes, s’entendaient pour harmoniser leurs politiques de développement économique et leurs coupes forestières et ainsi protéger leurs espèces menacées comme le caribou forestier, leurs lacs et leurs écosystèmes sensibles comme les milieux humides. Ce qui semble illusoire entre provinces d’un même pays a été réalisé là-bas entre pays souverains mais sans doute plus sensibles à l’idée d’un développement vraiment viable.


Le Devoir a rencontré Gerold Glantschnig, un fonctionnaire autrichien du ministère de la région de Carinthie, dans la petite municipalité de Dellach, où les petites maisons vertes, blanches, jaunes et roses sont surplombées du petit clocher carré typique des villages montagnards. Dans ce décor qui refuse de céder un pouce de son caractère patrimonial, Gerold Glantschnig, un des négociateurs de la convention sur la protection des Alpes, nous explique l’esprit de ses initiateurs.


« Il était inconcevable, dit-il, de continuer à vouloir développer et préserver un milieu alpin ayant des caractéristiques communes avec des règles différentes. En même temps, il fallait protéger les différences culturelles et naturelles propres à chaque région. Par exemple, on ne pouvait pas exterminer ou menacer à un endroit une espèce qu’on veut protéger dans une autre. Et la survie de certaines espèces, animales et végétales, dépend souvent de leur possibilité de rejoindre par des corridors relativement bien protégés les aires protégées souvent situées dans le pays voisin. »



Une structure évolutive


Chacun des huit pays membres - Autriche, France, Italie, Allemagne, Liechtenstein, Monaco, Slovénie, Suisse - participe à cette dynamique avec ses priorités pour le meilleur ou pour le pire. Malgré les différences de priorités, huit protocoles ont été élaborés pour traduire en règles communes, plus ou moins précises, les objectifs et les principes directeurs de la Convention. La Suisse, qui n’est pas membre de l’Union européenne (UE), a toutefois refusé de les ratifier après les avoir signés. Pour ses parlementaires, la souveraineté nationale était menacée, d’autant que le traité aurait pu être arbitré par la Cour européenne de justice.


Mais la Suisse pousse énormément sur l’agriculture en montagne, considérée par tous désormais comme un moyen de lutter contre la gentrification et le tourisme lourd, avec ses condos en hauteur qui défigurent le paysage et concentrent trop les activités humaines, explique Marco Onida, Secrétaire général permanent de la convention.


Par exemple, le protocole sur les transports incite les pays membres à cesser de miser sur les grandes infrastructures routières qui défigurent le paysage et coupent les voies migratoires. Les transports écologiques comme la marche - l’entrevue se déroule d’ailleurs en culotte courte, bâton de marche à la main au lieu du stylo, en pleine ascension d’un flanc de montagne entre la Slovénie et l’Autriche ! - ainsi que les vélos, télésièges, télécabines et les différents moyens de transport en commun sont ainsi privilégiés, avec des résultats parfois étonnants.


Dans plusieurs villes, raconte Marco Onida, jusqu’à 30 % des déplacements se font aujourd’hui à vélo grâce aux nouveaux aménagements. À Gap et à Chamonix, dit-il, là où le transport en commun est désormais gratuit au centre-ville en raison des nouvelles politiques, jusqu’à 30 % des habitants ont vendu leur deuxième voiture.


Mais tout n’est pas réglé, loin de là. Les petits centres de ski ferment souvent faute de neige, car la région alpine a connu une hausse de 2 degrés Celsius de sa température moyenne - le double de la moyenne planétaire. Mais ces fermetures augmentent la clientèle des centres importants, concentrant davantage les clients et augmentant les besoins en enneigement artificiel. La création de réservoirs d’eau à des fins d’enneigement, dans les flancs de montagne, devient ainsi une véritable plaie environnementale, car, souvent riches en bactéries, ils polluent les nappes souterraines locales et assèchent les petits cours d’eau. Une proposition en vue de couper toute forme de subvention à la construction de ces réservoirs a été battue en brèche par la Suisse…



Un développement intégré


Le secrétariat de la Convention n’administre pas de dispendieux programmes de restauration des écosystèmes. Il n’a pas ce genre de fonds. Mais il appuie des dizaines de projets. Son objectif, c’est plutôt de permettre un développement des Alpes, plus déconcentré, plus léger, qui en respecte le caractère naturel et culturel, précise Marco Onida. Tout un enjeu, quand on constate que cette région habitée par 14 millions d’habitants accueille chaque année 60 millions de visiteurs auxquels on attribue 545 millions de nuitées.


Ce petit secrétariat, qui n’a aucun pouvoir d’inspection, agit plutôt comme un « catalyseur » des forces sociales et politiques locales. Il aide surtout à structurer un mouvement, qui va de la base vers le sommet, en aidant au lancement de projets qui cadrent avec les protocoles de la convention et les politiques environnementales européennes Natura 2000, et qui peuvent ainsi obtenir des fonds des programmes de l’UE, comme pour les Projets Life.


Or ces forces sociales à la base sont nombreuses et variées. D’abord, la Commission internationale pour la protection des Alpes (CIPRA) qui, malgré son nom, est une OSBL internationale présente dans chaque pays de la convention. C’est elle qui a lancé l’idée de la convention alpine à la fin des années 1980. Il existe aussi une Alliance des maires et une autre association dites des « villes vertes », qui se donnent pour objectif de réduire leur bilan des gaz à effet de serre. Par exemple, la commune de Val-d’Isère, près de Grenoble, a mis sur pied un projet de parc éolien dont les revenus sont si importants qu’ils financent l’isolation des maisons et… ont permis de réduire la taxe foncière !


Peu connue en Amérique, cette convention est néanmoins devenue une source d’inspiration à l’échelle internationale. Elle a ainsi servi de modèle à la Convention des Carpates, signée en 2003, tout comme elle a inspiré des projets de collaboration entre pays de montagnes, parfois antagonistes au plan politique, dans les Balkans, dans le Caucase, en Asie centrale et, récemment, dans les Andes.


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