Le réchauffement du climat a fait migrer le grand porte-queue

Un grand porte-queue photographié l’an dernier dans le comté de Prince Edward, près du lac Ontario, où l’espèce est établie depuis 2007. La taille de ce papillon peut atteindre 15 centimètres.
Photo: Maxim Larrivée Un grand porte-queue photographié l’an dernier dans le comté de Prince Edward, près du lac Ontario, où l’espèce est établie depuis 2007. La taille de ce papillon peut atteindre 15 centimètres.

Maxim Larrivée attendait ce moment depuis longtemps. Depuis des années, l’expert en entomologie du Jardin botanique de Montréal suit la progression du papillon grand porte-queue, une espèce spectaculaire en raison de sa taille qui peut atteindre 15 centimètres.

Car le papillon, qui se retrouve généralement en Amérique du Sud, en Amérique centrale et aux États-Unis, se rapprochait d’année en année. Au début des années 2000, il a fait une apparition discrète en Ontario. Aujourd’hui, on le retrouve partout dans la grande région de Toronto. Ce n’était donc qu’une question de temps avant qu’il ne migre un peu plus au nord pour venir tâter de l’hiver québécois.

En juin dernier, Maxim Larrivée et son équipe ont donc décidé d’identifier un certain nombre de plantes du Jardin botanique où l’insecte peut se nourrir et pondre ses oeufs.

« Je n’avais pas beaucoup d’espoirs d’en trouver dès cette année, mais on pouvait déjà croire que c’était une question de temps. Mais dès notre arrivée à la première plante, nous avons trouvé une douzaine de chenilles un peu partout dans l’arbre », raconte, encore tout frémissant, le spécialiste des invertébrés.

« Cela veut dire deux choses : soit la femelle qui a pondu sur la plante avait survécu à l’hiver et a émergé ce printemps dans le Jardin botanique, soit il s’agissait d’une femelle qui arrivait du sud et qui a trouvé cette plante pour y pondre. »

Une chose est certaine, on note que les individus sont désormais capables de compléter leur cycle de vie. En effet, le spécialiste a pu assister à la métamorphose des premières chrysalides indigènes, dimanche matin. « Il ne serait donc pas surprenant que déjà, d’ici une année ou deux, à un seuil très endémique, donc avec très peu d’individus, le grand porte-queue soit capable d’être résidant à l’année dans le sud du Québec. »

Et comme les colonies plus au sud ont réussi à s’implanter rapidement, Maxim Larrivée estime que les observations dans la région de Montréal devraient être de plus en plus fréquentes : « Si la tendance se maintient, d’ici quatre, cinq ans, il va y en avoir partout. »

Il espère par ailleurs que la diffusion de la nouvelle permettra aux citoyens d’être plus attentifs à leurs observations de grand porte-queue, ce qui lui permettra de dresser un portrait plus complet de sa répartition au Québec.

 

Changements climatiques

« Les papillons sont d’excellents modèles pour observer la variation du climat parce que leur cycle de vie et leur aptitude à survivre aux hivers sont dictés par la température. L’adoucissement des températures hivernales, que l’on observe depuis quelques années, lui a donc donné une chance de s’implanter chez nous. »

Une trentaine d’espèces de papillons ont poussé vers le nord leur aire de répartition depuis les deux dernières décennies. Mais aucune n’est aussi spectaculaire que le grand porte-queue. Mais surtout, aucune n’a réussi à le faire en aussi peu de temps.

En effet, on calcule que les papillons colonisent les nouveaux habitats nordiques à un rythme moyen de 16 km par décennie. Le grand porte-queue, lui, a avancé de plus de 400 km au cours des derniers dix ans. C’est donc quinze fois plus rapide que la moyenne.

« Ce que l’on note, depuis 1990, c’est un avancement des limites vers le nord beaucoup plus rapide que ce que l’on avait imaginé. Pour les papillons, ils s’adaptent, du moins jusqu’à présent. Mais la question à 1 million de dollars, c’est : Est-ce qu’ils vont être capables de suivre le rythme ? »

Selon lui, il faut s’attendre à ce que d’autres espèces s’établissent graduellement au Québec dans les prochaines années, mais il souligne les dangers d’un réchauffement trop rapide.

« Historiquement, il y a toujours eu des changements climatiques et les organismes vivants ont toujours été capables de s’adapter. Sauf que si les changements climatiques que nous sommes en train de vivre se font à une vitesse au-delà de laquelle les espèces ont été exposées dans le passé, il faut se demander si elles ont le bagage génétique pour s’adapter. C’est une question à laquelle on n’a pas de réponse.»    

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