Réforme de l'évaluation environnementale - Ottawa pourra écarter des groupes écologistes

La réforme de l'évaluation environnementale fédérale permettra à Ottawa d'écarter certains grands groupes écologistes canadiens du processus d'évaluation et d'audiences publiques en limitant la participation aux groupes ou personnes «qui seront directement touchés par les projets».
C'est ce qu'a confirmé hier le ministre canadien des Ressources naturelles, Joe Oliver, lors d'une conférence de presse tenue à Toronto avec ses hauts fonctionnaires. L'absence à cette conférence de presse du ministre canadien de l'Environnement, Peter Kent, le responsable de la loi fédérale sur l'évaluation environnementale, a été fort remarquée, d'autant plus qu'aucun communiqué n'a été publié hier par son ministère sur ces questions relevant de son autorité.Le ministre Oliver avait déclaré récemment que des groupes écologistes étaient de véritables «radicaux» qui n'avaient pour seul objectif de bloquer les grands projets économiques. Hier, il a dit que c'était le cas de «quelques groupes» seulement, et que seulement quelques-uns étaient financés par des groupes étasuniens.
Joe Oliver n'a toutefois pas précisé si son projet de limiter aux groupes locaux l'accès aux audiences publiques sur les grands projets miniers, nucléaires et d'oléoducs ne viserait que ceux qu'il estime «radicaux» ou financés de l'extérieur ou tous les grands groupes écologistes, dont l'expertise est souvent perçue comme une menace en raison de son impact public.
La réforme environnementale fédérale annoncée hier réduit à presque rien les exigences d'évaluation pour les plus petits projets parrainés par le gouvernement fédéral dans le cadre de ses compétences. Par contre, Ottawa adoptera le système québécois qui impose une évaluation environnementale majeure aux seuls grands projets. Les catégories de projets ciblés seront définies dans un règlement publié en même temps que la nouvelle loi sera promulguée.
Ottawa entend aussi réduire les délais imposés aux trois organismes fédéraux qui seront à l'avenir responsables de l'évaluation environnementale (EE) en lieu et place des 40 organismes et ministères actuels. Les commissions d'évaluation publique, placées sous l'autorité de l'Agence canadienne d'évaluation environnementale (ACEE), auront en tout 24 mois pour procéder. L'Office national de l'Énergie disposera de son côté de 18 mois alors que les autres évaluations devront se limiter à 12 mois.
Le gouvernement Harper entend par ailleurs céder entièrement aux provinces l'évaluation des grands projets miniers, nucléaires ou de pipelines si les provinces en question adoptent des règles d'évaluation comparables aux siennes. Cette façon d'éviter ce qu'Ottawa appelle des «dédoublements» plaira certainement à l'Alberta pour ses projets d'exploitation des sables bitumineux et au Québec pour son Plan Nord. C'est l'ACEE qui déterminera quelles provinces pourront diriger l'évaluation des projets relevant de la compétence fédérale sur leur territoire. Le gouvernement fédéral demeurera néanmoins libre de décider s'il approuve ou non un projet évalué par une province, quelles que soient les conclusions du rapport d'évaluation. Il en sera de même pour les provinces. Mais du côté fédéral, on ne pouvait pas dire hier ce qui se passerait si une province refusait un projet qu'Ottawa aurait autorisé.
La réforme environnementale pilotée par le ministre des Ressources naturelles vise, a dit ce dernier, à mobiliser moins de moyens financiers et humains du côté des «petits projets courants qui ne posent que peu ou pas de risques pour l'environnement», mais qui sont néanmoins assujettis à la procédure.
«Un projet, une évaluation»
L'héritage de 30 ans d'expertise environnementale au Canada serait devenu, selon Joe Oliver, un «dédale de plus en plus complexe de règles et d'examens bureaucratiques qui s'est développé de façon chaotique». Cela entraînerait «des retards et des chevauchements inutiles entre les processus des gouvernements fédéral et provinciaux, ce qui risque de décourager d'éventuels nouveaux investisseurs et de nuire à la viabilité économique des grands projets».
Le mot d'ordre est désormais «un projet, une évaluation». Et cette «réforme» s'articule autour de quatre pôles: rendre l'examen des grands projets plus prévisible et plus rapide, réduire le chevauchement du processus d'examen, renforcer la protection de l'environnement et améliorer les consultations auprès des autochtones.
Il n'y aura donc désormais que deux types d'examens: «l'évaluation environnementale normale ou l'examen par une commission». C'est l'agence fédérale qui déterminera dans les 45 jours consécutifs à un avis de projet si ce dernier doit ou non passer par le test de l'évaluation environnementale. Les délais de rigueur imposés aux trois organismes fédéraux — ACEE, Office national de l'énergie (ONE) et Commission canadienne de sécurité nucléaire (CCSN) — ne tiendront pas compte cependant des délais imputables aux retards des promoteurs à répondre aux questions des responsables fédéraux.
Si un projet susceptible d'engendrer des impacts importants n'apparaît pas dans la liste des projets assujettis, au lieu d'être libéré d'une étude d'impacts et de l'audience publique, comme au Québec, le ministre fédéral — Environnement ou Ressources naturelles, on ne sait pas — pourra décider de l'assujettir au processus d'évaluation. Par contre, il a été impossible de savoir si ce pouvoir discrétionnaire sera balisé par la loi ou sans limites.
La loi imposera par ailleurs des délais limites aux processus de délivrance des permis après le dépôt des rapports d'évaluation, soit aux projets relevant des lois sur les pêches, sur les eaux navigables, sur les espèces menacées, sur la protection de l'environnement ou sur la sécurité nucléaire.
Les provinces pourront non seulement se qualifier pour évaluer les grands projets relevant de la compétence fédérale, mais Ottawa songe en plus à autoriser «des accords d'équivalence entre les règlements d'application de la Loi sur les pêches et les règlements provinciaux», une porte ouverte à une nouvelle délégation de pouvoirs.
Ottawa entend enfin renforcer le suivi des obligations inscrites dans les autorisations de projets. Les infractions pourront donner lieu à des amendes administratives grâce à de nouveaux pouvoirs accordés aux inspecteurs (on ne sait de quel ministère, Environnement ou Ressources naturelles). Les infractions lourdes pourront de leur côté commander des amendes allant jusqu'à 400 000 $. Ottawa entend par ailleurs accorder de nouveaux fonds pour accroître la surveillance des pipelines et la sécurité maritime.