GES: Québec roule dans le mauvais sens

Le parc automobile québécois est loin d'évoluer de concert avec les objectifs de réduction de la consommation et des émissions de gaz à effet de serre du Québec.
Les autorités chargées de surveiller l'évolution de ce parc roulant ne semblent pour l'instant compter sur aucun frein efficace. En outre, les statistiques disponibles les plus récentes datent de plusieurs années.En effet, ni la Société d'assurance automobile du Québec (SAAQ), ni le ministère des Transports du Québec (MTQ) ou le ministère du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs (MDDEP) n'ont pu montrer au Devoir une seule étude empirique à jour détaillant l'évolution de la consommation d'essence et des émissions de gaz à effet de serre du parc automobile québécois.
Pourtant, selon le ministre responsable du MDDEP, Pierre Arcand, Québec cible en priorité le secteur des transports, responsable à lui seul de 43 % des émissions nationales. Québec s'est donné comme objectif de réduire de 20 % ses émissions globales d'ici 2020 par rapport au niveau historique de 1990.
Pour réduire la croissance de la consommation des voitures et des camions légers de promenade, Québec s'est contenté d'imposer une taxe à l'immatriculation annuelle de 40 $ à tous les véhicules de 4 litres de cylindrée, taxe qui augmente de 10 $ par dixième de litre additionnel.
Mais quand on regarde de près les statistiques de la SAAQ, on s'aperçoit que ce frein n'a atténué en rien la tendance des consommateurs à acheter des véhicules de plus en plus gros. Ainsi, selon le bilan de la SAAQ, le nombre d'automobiles dont la masse se situe entre 1750 et 1999 kg a augmenté de 45 % entre 2005 et 2010 et de 68 % dans le cas des voitures les plus lourdes, soit celles pesant entre 2000 et 3000 kg.
La situation devient carrément caricaturale dans le cas des camions légers, ce que Daniel Breton, du groupe MCN-21, attribue au fait que les acheteurs de cette catégorie sont insensibles à une surtaxe de 40 à 60 $, alors qu'ils s'offrent des véhicules de 40 000 à 60 000 $.
Le nombre des camions légers de promenade pesant de 2000 à 3000 kg a ainsi augmenté de 86,7 % entre 2005 et 2010, passant de 157 462 à 294 064 en cinq ans. Dans le cas des 3000 à 4000 kg, la situation est surréaliste: l'augmentation a été de 828 % en cinq ans, ce qui confirme ce que plusieurs auteurs appellent désormais «le droit de polluer accordé aux riches» propriétaires de mastodontes énergivores.
Un début de portrait
Tout récemment, le Centre de données et d'analyse sur les transports (CDAT) de l'Université Laval publiait un portrait 2003-2008 sur la performance énergétique des véhicules légers au Québec. Aucun des porte-parole des deux ministères et de la SAAQ ne connaissait ce bilan, auquel les trois organismes ont pourtant participé financièrement...
Il ressort de ce bilan qu'entre 2003 et 2008, le parc de véhicules légers a augmenté de 8,5 % tout en connaissant une réduction de 5 % de son âge moyen. Cette augmentation du nombre de véhicules a annulé la faible baisse «moyenne» des émissions de CO2 du parc québécois, phénomène auquel a fortement contribué la vogue des grosses cylindrées. Les cylindrées de taille moyenne ont en effet maintenu leur part, mais les véhicules de plus de 1700 kg connaissaient un accroissement de 30 % durant ces cinq ans. Le bilan du groupe universitaire indique aussi que la part des sous-compactes passait durant cette période de 17 à 13 %, alors que celle des véhicules utilitaires sport grimpait de 8 à 12,6 %.
Globalement, selon le CDAT, la consommation moyenne du parc automobile québécois se maintenait à peu de choses près, passant de 9,57 litres au 100 km en 2003 à 9,33 litres en 2008. Cette consommation moyenne a été calculée à partir des évaluations de Ressources naturelles Canada, lesquelles sont moins sévères que celles de l'Agence pour la protection de l'environnement des États-Unis, qui a modernisé ses critères.
Quant aux émissions moyennes de gaz à effet de serre du parc québécois, elles passaient de 229,68 grammes de CO2/km en 2003 à 220,41 en 2008. En comparaison, les émissions moyennes du parc automobile de France se situaient en 2005 à 152 g/km, et l'an dernier, ce pays atteignait l'objectif européen de 130 g/km.
Système inefficace
Le groupe MCN-21 a calculé, selon son porte-parole Daniel Breton, qu'entre 1990 et 2010, la catégorie des camions légers a augmenté son effectif de 216 %. Tout récemment encore, soit de 2009 à 2010, cette catégorie de véhicules a vu ses ventes augmenter de 6,5 % au Québec, dépassant le nombre d'automobiles vendues.
Pour Daniel Breton, il est clair que Québec ne pose pas de gestes concrets en faveur de l'atteinte de ses objectifs annoncés en matière de réduction des émissions de son parc roulant. Et cela, parce qu'il n'ose pas mettre en place un véritable malus-bonus où les surtaxes imposées aux véhicules énergivores financent, à coût nul pour l'État, l'aide économique accordée aux véhicules relativement verts.
Le gouvernement Charest, explique-t-il, va consacrer environ 50 millions en aide financière d'ici 2015 aux acheteurs de véhicules peu énergivores, soit les plus performantes motorisations thermiques, les hybrides, rechargeables ou non, et les voitures électriques.
Mais en réalité, explique cet écologiste, Québec va amasser d'ici 2020 autour de 500 millions uniquement avec la surtaxe de 40 $ et plus qu'il impose aux véhicules de plus de 4 litres. Et comme ces véhicules consomment beaucoup d'essence, il faut ajouter, dit-il, un autre 500 millions en taxe sur l'essence.
«Avec un bonus-malus, c'est ce milliard, et non quelques dizaines de millions, qui irait en aide financière aux propriétaires de véhicules moins énergivores, ce qui changerait radicalement le visage de notre parc automobile en quelques années. Pour l'instant, Québec fait de l'argent avec la prolifération des véhicules énergivores», conclut le porte-parole de MCN-21.