Ottawa met le protocole de Kyoto derrière lui

Ottawa — Au premier jour de la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques qui s'est mise en branle en Afrique du Sud hier, le gouvernement canadien n'a pas voulu nier qu'il songe à se retirer formellement du protocole de Kyoto. Tentant tant bien que mal d'éviter de le confirmer, le ministre de l'Environnement, Peter Kent, a néanmoins plaidé le fait que Kyoto était «chose du passé» et qu'il fallait maintenant travailler sur un nouvel accord «post-Kyoto» incluant tous les pays émetteurs de gaz à effet de serre (GES). Or, si le Canada prévoit réellement faire une croix sur Kyoto, il se doit de le faire dès maintenant, plutôt que de miner les pourparlers des prochaines semaines, ont rétorqué partis d'opposition et écologistes.
Questionnés à maintes reprises hier, par les journalistes et les partis d'opposition, les ministres conservateurs ont évité tour à tour de préciser le sort que réserve à Kyoto le gouvernement Harper. Cet accord n'inclut pas tous les grands émetteurs de GES et, par conséquent, ne fonctionnera pas, se sont-ils bornés à répondre sans relâche.Le gouvernement s'était retrouvé sur la sellette hier, après que le réseau télévisé CTV eut rapporté qu'il se préparait à annoncer, à quelques jours de Noël et quand le Parlement aura cessé de siéger, son retrait officiel du protocole signé en 1997.
«Je ne le confirme pas, ni le nie», a fini par répondre le ministre Kent, bombardé de questions lors d'une conférence de presse sur un autre sujet en matinée. Pourquoi ne pas simplement réfuter la rumeur? «Ce n'est pas le moment de faire une annonce», a-t-il répliqué, loin de dissiper les doutes de ses opposants politiques et environnementaux.
Réitérant que le Canada ne prendrait pas de second engagement envers Kyoto, Peter Kent a argué qu'il fallait plutôt se tourner vers l'avenir en visant tous les émetteurs de la planète, et qu'il s'attelait, lui, à respecter les accords de Copenhague et Cancún — des ententes qui, contrairement au protocole de Kyoto, ne sont pas contraignantes.
«Nous allons à Durban [en Afrique du Sud] pour travailler à une cause commune avec les autres participants de la conférence, pour plancher sur un nouvel accord sur les changements climatiques, éventuellement contraignant, qui inclura tous les émetteurs, tant les pays développés que ceux en voix de développement, a-t-il martelé. S'il y a urgence d'agir pour s'attaquer aux changements climatiques, ce n'est pas le moment pour que les plus importants émetteurs de la planète restent à l'écart les bras croisés.»
Mais de l'avis des groupes écologistes, c'est justement se mettre à l'écart que devrait faire le Canada, et rapidement. Car en refusant de nier la nouvelle, les conservateurs l'ont dans les faits confirmée, estiment-ils.
«Il semble maintenant évident que le Canada a l'intention de siéger aux négociations sur le climat de Durban pendant les deux prochaines semaines en les sabotant délibérément, pour ensuite se retirer lâchement du protocole de Kyoto», a accusé Graham Saul, du Réseau Action Climat. Une opinion partagée par la porte-parole néodémocrate en environnement, Megan Leslie, qui pense qu'en allant à Durban tout en se préparant à renier Kyoto le ministre Kent ferait aussi bien de rester au pays, plutôt que d'aller «essayer de miner les négociations qui se déroulent de bonne foi».
D'autant plus qu'en allant en Afrique du Sud à la fin de la semaine, muni de «pleins de demandes à tout le monde et sa mère», le gouvernement canadien fera preuve de toute une «hypocrisie», a renchéri Steven Guilbeault, d'Équiterre, en rappelant que le Canada serait le premier et unique pays à rejeter l'accord de Kyoto après l'avoir ratifié.
Questionné sur l'enjeu des changements climatiques, le premier ministre québécois Jean Charest a rappelé que le Québec, lui, atteindrait les objectifs de Kyoto. Le Québec et le Canada seront très affectés par les bouleversements du climat; raison de plus pour se doter d'une «vision» pour lutter contre le réchauffement de la planète, vision que les conservateurs n'ont pas, a-t-il accusé. «À mes yeux, suivre ce que les Américains font sur les questions d'environnement n'est pas la marche à suivre. Ce n'est pas ce que j'attends du gouvernement fédéral. Je veux une vision. Et j'aurais aimé une vision canadienne sur cet enjeu», a-t-il déclaré lors d'un point de presse à Montréal.
Le protocole de Kyoto vient à échéance en 2012 et, en vertu de celui-ci, le Canada prévoyait, à l'époque de sa signature, réduire ses GES de 6 % par rapport aux niveaux de 1990. Ottawa privilégie maintenant une cible de réduction de 17 % des GES d'ici 2020, par rapport aux niveaux de 2005.
Le ministre Kent a d'ailleurs de nouveau reconnu que le Canada, lui, n'y arriverait pas. Et malgré les critiques qu'il prévoit, Peter Kent défend la position du Canada quant à la mort du protocole de Kyoto, plaidant le fait que d'autres pays en sont venus à la même conclusion, comme les États-Unis, la Russie et le Japon. D'où la nécessité d'un nouvel accord, «post-Kyoto», soutient-il.
Des prétextes, a rétorqué l'opposition, qui estime que la stratégie d'Ottawa ne fait aucun doute: le gouvernement prépare le terrain pour renier Kyoto simplement pour éviter d'éventuelles sanctions qui pourraient lui incomber faute d'avoir respecté ses engagements internationaux en matière de réduction de GES, d'en être blâmé publiquement sur la scène internationale.
«Il y a une malhonnêteté de la part du gouvernement du Canada de dire "on a une stratégie, mais on va l'annoncer juste avant Noël"», a déploré le chef libéral intérimaire Bob Rae.
«Le Canada s'isole du reste du monde. Il s'assure de ne pas être à la table où les décisions importantes concernant l'avenir de la planète seront prises. Les conservateurs préfèrent jouer tout seuls dans leur carré de sable bitumineux», a pour sa part lancé Megan Leslie aux Communes.
«Si Kyoto s'écroule dans les deux prochaines semaines, à Durban, le Canada aura joué un rôle de premier plan quant à notre honte collective [...] Mais ce n'est pas surprenant de la part d'un homme qui a mené la charge de ceux qui niaient l'existence des changements climatiques et qui a déjà qualifié Kyoto de stratagème socialiste», a chargé Gary Neil, du Conseil des Canadiens, qui accompagnait les groupes écologistes en point de presse au Parlement au moment même où le ministre Kent semblait confirmer que, d'ici quelques semaines, le Canada aura définitivement relégué aux tablettes le protocole de Kyoto.
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Avec la collaboration de Louis-Gilles Francoeur et d'Alexandre Shields
Avec La Presse canadienne