Golfe du Saint-Laurent - Des plateformes pétrolières dans 10 ans

L'exploitation d'énergies fossiles devrait être une réalité dans les eaux québécoises du golfe du Saint-Laurent d'ici une décennie. C'est ce qui se dégage du rapport préliminaire produit par la firme d'ingénierie Genivar dans le cadre de l'évaluation environnementale stratégique portant sur ce vaste écosystème marin. Mais le volumineux document met aussi en lumière d'importantes «carences» dans les connaissances relatives au golfe, notamment sur les effets qu'aurait une marée noire et sur les moyens d'y faire face.
Actuellement, l'exploration pétrolière et gazière est interdite dans cette étendue maritime de plus de 110 000 km2, objet de l'étude commandée à Genivar par le gouvernement Charest. Mais les choses pourraient changer à court terme, si on se fie au rapport publié hier et qui sera soumis à une période de consultations publiques au cours de l'automne. «Selon le calendrier de mise en oeuvre de cette [évaluation environnementale stratégique (EES)], et en tenant compte des temps requis pour la confection des plans et devis et la construction ultérieure à l'autorisation, les éventuelles premières activités d'exploitation débuteraient, le cas échéant, en 2022-2023», soulignent ainsi les auteurs de l'«Évaluation environnementale stratégique sur la mise en valeur des hydrocarbures dans les bassins d'Anticosti, de Madeleine et de la baie des Chaleurs».«La levée du moratoire sur les activités d'exploration et d'exploitation pétrolières et gazières en milieu marin pourrait se faire graduellement en privilégiant les aires de moindre sensibilité, permettant ainsi de suivre, de documenter et d'assimiler les données portant sur les techniques applicables à l'environnement du Saint-Laurent, aux interactions avec le milieu et à la perception sociale de telles activités», proposent-ils dans ce document de 670 pages. Ces zones dites de «sensibilité faible» couvrent près de la moitié du golfe, côté Québec, soit plus de 63 000 km2. La structure très prometteuse de Old Harry en fait partie. C'est donc dire qu'une portion très importante du golfe pourrait être ouverte aux pétrolières.
Les zones dites de sensibilité «moyenne» ou «forte» constituent l'autre moitié de cette aire maritime. Elles regroupent par exemple des secteurs de concentration d'activités de pêche ou des habitats fauniques importants pour des populations d'oiseaux, de mammifères marins ou de poissons. Elles comprennent l'extrémité de la péninsule gaspésienne, la rive nord de l'île d'Anticosti, une partie de la baie des Chaleurs et un vaste secteur situé autour des Îles-de-la-Madeleine. Aucune ne bénéficie actuellement d'une protection spécifiquement dédiée à la conservation du milieu marin. Le rapport avance l'idée d'interdire les travaux d'exploration pour les zones de «forte» sensibilité, soit 5,6 % de tout le golfe.
Dans la cadre de la première EES, portant sur l'estuaire du Saint-Laurent, Québec s'était plié aux conclusions du rapport, qui recommandait d'y interdire toute exploration.
Lacunes
Même si le rapport ouvre grande la porte à l'exploitation d'énergies fossiles au coeur du Saint-Laurent, il démontre du même coup que le Québec a d'importantes «lacunes» à combler s'il veut extraire ces hydrocarbures en réduisant les risques environnementaux.
Les auteurs du rapport soulignent ainsi le besoin de mieux documenter les «effets des déversements accidentels en pleine mer, dans un environnement marin comme celui du golfe du Saint-Laurent». Il faudrait aussi se doter de «méthodes de récupération des hydrocarbures lorsqu'il y a présence de glaces». Cela implique aussi de mieux comprendre les courants marins, mais aussi l'impact des changements climatiques sur cette véritable mer intérieure.
En fait, le document fait état de la nécessité de réévaluer l'ensemble de la capacité d'intervention en cas de déversement. Un travail qui devra impérativement se faire en collaboration avec le gouvernement fédéral. On souligne aussi la nécessité d'élaborer un plan de mesures d'urgence avec les communautés locales, dont plusieurs s'inquiètent déjà des risques que poseraient des plateformes pétrolières au large de leurs côtes. Cinq provinces pourraient être touchées en cas de déversement.
Les carences en informations sur la faune qui fréquente les eaux québécoises sont également majeures. Les zones d'alimentation, de reproduction ou de mise bas restent bien souvent à préciser. Sans oublier le besoin de mener davantage de recherches sur l'impact des travaux d'exploration sur les espèces marines. Les relevés sismiques, par exemple, pourraient avoir des impacts significatifs sur les 14 espèces de cétacés qui fréquentent les eaux du golfe. Certaines des 130 espèces de poissons pourraient aussi souffrir de ces travaux. Mais en l'absence de recherches plus poussées, les risques que posent les phases d'exploration et d'exploitation pétrolière et gazière demeurent pour le moment largement méconnus.
Au final, la facture de l'ensemble de ces recommandations pourrait être salée pour l'État québécois. Genivar fait cependant état d'impacts économiques positifs pour le Québec, sans chiffrer quoi que ce soit. Il faut dire que le potentiel en hydrocarbures reste à préciser. Il y a bien sûr la structure de Old Harry, sur laquelle des forages pourraient avoir lieu dès l'an prochain, du côté de Terre-Neuve-et-Labrador. Le rapport souligne aussi que quatre zones particulièrement intéressantes ont été définies par les géologues. Pour le moment, les «ressources potentielles estimées» s'élèvent à 2,3 millions de barils dans le golfe et à 1100 milliards de mètres cubes de gaz.
La firme d'ingénierie s'avance par ailleurs sur le terrain des redevances en soulignant que le Québec devrait revoir son régime en s'inspirant «des expériences concrètes positives d'autres États, provinces ou législations pour le même secteur».
Le rapport, publié lundi soir mais daté de mars 2011, était attendu depuis des semaines par les citoyens qui comptent participer aux consultations publiques qui débutaient... lundi.