Les ministres restent silencieux sur le pétrole éthique
Ottawa — Les ministres du gouvernement de Stephen Harper reprennent peut-être à leur compte l'idée que les sables bitumineux canadiens constituent du «pétrole éthique», mais aucun n'ose dire ouvertement qu'il s'agit d'une référence au régime politique — moralement inférieur à leur avis — en vigueur en Arabie saoudite.
Depuis quelques mois, les ministres et porte-parole conservateurs utilisent le mot «éthique» pour distinguer le pétrole produit au Canada de ses compétiteurs produits au Moyen-Orient... et écarter les critiques environnementales. Aucun ne se mouille toutefois pour expliquer ce qu'il entend par là. Interrogé à ce sujet hier, le ministre de l'Environnement, Peter Kent, a refusé de définir la dimension «éthique» des sables bitumineux. «Je le tire [le concept] de la publicité. C'est bien expliqué.»Le ministre des Ressources naturelles, Joe Oliver, était tout aussi évasif. «Notre pays a des principes fondamentaux: l'égalité des femmes et des hommes et la liberté d'expression et tout ça. Alors, à notre avis, nous sommes un pays éthique.» Quel est le lien entre le droit des femmes et le pétrole? M. Oliver refuse de l'expliquer. Quand on lui demande s'il fait ainsi une référence à l'Arabie saoudite, puissance pétrolière où les femmes n'ont pas le droit de conduire une voiture, il se rebiffe. «Je parle de notre pays. Je ne fais pas de comparaison.» M. Oliver a suggéré aux journalistes de lire le livre d'Ezra Levant.
Son secrétaire parlementaire, celui qui répond à sa place à la Chambre des communes en son absence, a lui aussi utilisé lundi le mot «éthique». Que voulait-il dire par là? David Anderson refuse de répondre depuis. «Lisez-le livre et éduquez-vous!», a-t-il lancé en s'enfuyant.
Des pays non démocratiques
Le livre et la publicité auxquels ils font référence émanent des rangs conservateurs. Ezra Levant, stratège et proche conseiller de Stockwell Day lorsque celui-ci était chef de l'Alliance canadienne, a signé Ethical Oil en 2010. Dans ce livre, il se demande «à quoi Dieu a bien pu penser lorsqu'il a distribué les richesses pétrolières» sur la planète, déplorant que ce soit des pays non démocratiques du Moyen-Orient et le Venezuela qui ont gagné à cette loterie. M. Levant soutient que les sables bitumineux de l'Alberta, son port d'attache, sont donc «éthiques» parce qu'ils ne servent pas à financer les régimes totalitaires.
Alykhan Velshi a quitté son poste de directeur des communications du ministre Jason Kenney pour créer le groupe EthicalOil.org. Il a lancé une publicité télévisée présentant les sables bitumineux comme une solution de remplacement à l'achat de pétrole saoudien qui finance l'oppression des femmes. M. Levant, lui, est devenu animateur à SunTV News et utilise sa tribune pour marteler cette idée. Il a invité M. Velshi, M. Day et le ministre Kenney pour discuter de cet enjeu.
L'Arabie saoudite a menacé EhicalOil.org de poursuites judiciaires si la publicité est maintenue en ondes. On ignore quel serait l'impact diplomatique si le gouvernement canadien reconnaissait faire sienne cette comparaison. Son ambassade n'a pas répondu à la demande de commentaires du Devoir hier.