Des Casques verts comme remède contre le réchauffement climatique

Les temps changent, ils se réchauffent, et la riposte doit désormais être prise très au sérieux. C'est en tout cas ce que croit le secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies (ONU), Ban Ki-Moon, qui, il y a quelques semaines, a défendu devant le Conseil de sécurité la création d'une nouvelle force internationale de maintien de la paix: les «Casques verts» seraient chargés d'intervenir là où les changements climatiques pourraient, dans un futur trouble, entraîner des tensions sociales, des crises humanitaires ou écologiques ou, pire, des conflits armés.
Or, si cette idée est soutenue par les petits États insulaires de l'Océanie, comme Tuvalu, Nauru, Tonga et Samoa, premières victimes potentielles des dérèglements du climat, elle est toutefois loin de faire l'unanimité au sein de la communauté internationale et laisse également le Canada sans mot: Ottawa reste pour le moment très discret sur sa position face à la mise en place d'une telle force.«Il y a une certaine ambivalence au sein de l'ONU sur ce projet, reconnaît à l'autre bout du fil Frédéric Mégret, professeur de droit et titulaire de la Chaire en droits de la personne et pluralisme judiciaire de l'Université McGill à Montréal. La création d'une telle force est sans doute prématurée, mais son évocation vient toutefois mettre en relief le fait qu'à l'avenir les plus grandes menaces contre la sécurité vont peut-être venir du réchauffement climatique et des perturbations écologiques et sociales qui vont les accompagner. Mais, pour cela, il faut aussi reconnaître qu'il y a réchauffement.»
Ban Ki-Moon ne semble pas en douter, lui qui, fin juillet, a exposé au Conseil de sécurité l'importance d'étendre la mission de gardien de la paix des Casques bleus. Comment? En les mettant au vert dans le champ des changements climatiques et de leurs conséquences sur la condition humaine. L'intervention s'est produite un mois après l'annonce du dévoilement, par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), d'un nouveau rapport sur l'accroissement des catastrophes écologiques à l'échelle planétaire — ce document doit être rendu public en novembre prochain.
«Les événements climatiques extrêmes continuent d'augmenter de manière plus fréquente et plus intense dans les pays riches et pauvres, pas seulement en dévastant des vies, des infrastructures et des institutions», a dit M. Ki-Moon devant les membres du Conseil de sécurité, en soulignant que ces bouleversements constituent une «menace pour la paix et la sécurité internationales». «Nous ne pouvons pas faire fi de l'histoire et devons reconnaître que l'on ne peut pas rester spectateurs lorsqu'il s'agit du futur de la planète.»
Tout en acceptant le principe qu'un lien de cause à effet pourrait se former entre stabilité globale, sécurité économique, sociale, écologique et changements climatiques, et en se questionnant même sur «les possibles implications sécuritaires de la perte de territoire de certains États causée par l'élévation du niveau de la mer, en particulier les îles», les membres du Conseil de sécurité ont toutefois rejeté du revers de la main ce projet de «Casques verts». La Chine et la Russie prétextent même que les questions climatiques devraient rester dans les mains des scientifiques plutôt que d'entrer dans l'enceinte du Conseil de sécurité.
Changement de couleur inutile
«Peindre les Casques bleus en vert pourrait effectivement envoyer un signal fort [dans la lutte contre le réchauffement], a indiqué le grand patron de la mission permanente allemande à l'ONU, Peter Wittig, dans les pages numériques du Huffington Post. Mais en quoi demander à ces Casques verts de composer avec les conséquences des changements climatiques, dans les régions précaires, va être différent du rôle joué aujourd'hui par les Casques bleus?»
Malgré nos appels, les représentants de la délégation canadienne à l'ONU n'ont pas souhaité se prononcer sur l'appel de Ban Ki-Moon, se renvoyant plutôt la balle avec le ministère des Affaires étrangères, qui n'a pas été plus loquace. «Le Canada attend sans doute de prendre le pouls de la diplomatie internationale sur ce dossier avant de se prononcer», a indiqué au Devoir Ali Dizboni, spécialiste en sécurité humaine et relations internationales au Collège militaire royal du Canada.
Rappelons que, depuis 2004, le gouvernement conservateur de Stephen Harper tend à remettre en question, lors des grandes rencontres internationales, les fondements scientifiques du réchauffement climatique, tout comme les objectifs de réduction des gaz à l'origine des bouleversements du climat. Qui plus est, «l'appui à la création d'une telle force vient forcément déplacer le débat sur les changements climatiques, dit M. Mégret. Avec les Casques verts, nous ne sommes plus dans la prévention et la lutte contre le réchauffement, mais bien dans le traitement des conséquences. Il y a une forme de résignation qu'aucun drame, pour le moment, ne permet d'exprimer.»
Le premier ministre du micro-État de Nauru, situé dans le Pacifique, Marcus Stephen, qui depuis des mois a décidé de porter sur la scène internationale la cause des petits États insulaires de son coin du globe, ne se gêne pas, lui, pour le faire. Dans les pages du New York Times, l'homme a, en marge de la réunion du Conseil de sécurité, rappelé l'urgence pour l'ONU d'assumer les conséquences du dérèglement climatique, qualifié de «menace aussi importante que la prolifération nucléaire ou le terrorisme international», a-t-il écrit.
La crise est en formation
Selon lui, «les gens quittent déjà leurs atolls pour se réfugier dans la capitale de leur pays. À l'avenir, il y aura des millions de réfugiés climatiques et, d'ici la fin du siècle, des îles auront été rayées de la carte, complètement submergées. C'est bien une menace pour la paix dans les États insulaires», a-t-il résumé, dans les derniers jours, sur les ondes de la radio publique australienne. Même s'il déplore l'appui timide donné à la formation de Casques verts, M. Stephen a toutefois qualifié de «pas en avant» le fait que ce dossier s'est retrouvé devant le Conseil de sécurité. «Nous nous attendions à n'obtenir aucune réponse, aucune déclaration», a-t-il dit, attisant par ailleurs les critiques habituelles à son endroit.
C'est que, pour une poignée d'observateurs, l'appel à la création d'une force verte de l'ONU serait une nouvelle stratégie de communication des micro-États de l'Océanie visant, une fois de plus, à évoquer des troubles hypothétiques et futurs pour attirer l'attention, dans l'espoir de régler des problèmes sociaux, économiques et écologiques plutôt actuels. En effet, la plupart des micro-États menacés par la montée des eaux en raison de leur faible élévation doivent composer avec une économie peu diversifiée, avec un niveau de chômage élevé et avec des enjeux écologiques importants, comme à Tuvalu, où les deux extrémités de son atoll principal ont, depuis des années, été transformées en décharges publiques à ciel ouvert, le sol corallien propre à ce pays, d'une superficie de 26 km2 à peine, ne permettant pas l'enfouissement.
Il n'empêche: selon les scénarios produits par le GIEC, d'ici la fin du siècle, la hausse des températures, de l'ordre de 2 à 4 degrés, devrait faire monter le niveau des océans de 20 à 60 cm avec, à la clef, le déplacement de 200 millions d'individus, prédisent les scientifiques. Une grande part de ces nouveaux réfugiés du climat risquent de se retrouver dans la grande région du Pacifique, où plusieurs États ont une altitude maximale de quelques mètres à peine.