Énergie - Ottawa accusé d'exporter ses «politiques sales»

Manifestation contre les sables bitumineux devant l’ambassade canadienne à Londres en février dernier. Le Canada est maintenant accusé de s’en prendre aux politiques vertes des autres pays.
Photo: Agence France-Presse (photo) Carl Court Manifestation contre les sables bitumineux devant l’ambassade canadienne à Londres en février dernier. Le Canada est maintenant accusé de s’en prendre aux politiques vertes des autres pays.

Le ministère des Affaires étrangères du Canada a mis au point une stratégie pour défendre le marché des sables bitumineux à l'étranger en intervenant dans le même sens que les industriels albertains contre des politiques environnementales aux États-Unis et en Europe, qui encourageaient l'utilisation de carburants plus propres.

C'est ce qu'a soutenu hier le Réseau Action Climat dans un rapport qui fait la synthèse de centaines d'actions entreprises par les gouvernements d'Ottawa et de l'Alberta pour contrer des politiques étrangères susceptibles de réduire à terme le marché des sables bitumineux canadiens, présentés par les écologistes comme un combustible fossile plus «sale» que les autres.

Pour Grahan Saul, coordonnateur du Réseau Action Climat, avec sa «stratégie de défense des sables pétrolifères», le Canada «ne fait pas qu'exporter du pétrole sale: il exporte aussi ses politiques sales» en matière d'énergie.

Les écologistes ont obtenu les documents à la base de leur rapport en vertu de la Loi fédérale d'accès à l'information ou par le site Internet de Greenpeace ouvert aux «dons» de documents confidentiels. On apprend dans ce rapport que le ministère canadien des Affaires étrangères a principalement pris pour cible les règles européennes visant à valoriser les biocarburants par rapport à des filières plus riches en émissions de gaz à effet de serre (GES) ainsi que deux nouvelles règles légales mises en place aux États-Unis pour décourager l'utilisation des combustibles fossiles les plus riches en émissions, ce qui frappe de plein fouet les sables bitumineux, qui se retrouvent au bas de la liste, juste devant le charbon.

On y apprend aussi dans un document classé «secret» que Ressources naturelles Canada (RNCan) se perçoit comme un «partenaire» des industriels albertains et non comme une entité étatique au-dessus de la mêlée. Et les stratégies fédérales de défense de cette industrie, qui copient jusqu'aux expressions et tableaux synthèses des industriels, s'ajoutent aux efforts de lobbying de l'Alberta, une province qui a dépensé 25 millions en 2008 pour contrer le dénigrement de son pétrole par les écologistes. Les efforts du ministère des Affaires étrangères et autres représentants fédéraux, décrits dans des dizaines de courriels obtenus en vertu de la Loi d'accès à l'information, vont dans le même sens.

La première cible de cette stratégie du gouvernement Harper attaquait la norme de carburant à faible teneur en carbone promulguée par un décret du gouverneur californien, Arnold Schwarzenegger, en janvier 2007. Ce décret accordait la priorité des achats de la Californie aux carburants plus propres, ce qui menaçait le pétrole albertain, cinq fois plus riche en émissions de GES qu'un pétrole classique. Dans une série de lettres, de présentations et de rencontres, le lobby du pétrole canadien, secondé par des interventions de l'ambassadeur canadien Michael Wilson, s'en prend à cette distinction, jugée «injustifiée». RNCan, de son côté, a fait valoir qu'elle constituait une «barrière commerciale injuste entre nos deux pays». Malgré ces pressions, la Californie a tenu bon.

Contre les carburants de remplacement


Mais voilà que le gouvernement fédéral américain, cette fois, adopte la règle 526 visant à accroître l'indépendance énergétique des États-Unis par des achats de pétrole plus propre, y compris par les militaires, les plus importants consommateurs du pays. La règle 526 vise particulièrement l'achat de carburants «de remplacement ou synthétiques», ce qu'on produit à partir des sables bitumineux.

Nouvelles interventions de l'ambassadeur Wilson pour que cette règle ne s'applique pas au pétrole albertain, ce que défend un imposant lobby déployé en parallèle par l'industrie pétrolière d'ici. Le Sierra Club des États-Unis a décidé pour sa part de poursuivre le Département de la Défense des États-Unis qui n'a pas respecté la règle 526, ce à quoi ont répliqué les milieux d'affaires étasuniens en poursuivant le Sierra Club.

Quand, en 2007, l'Union européenne a décidé d'introduire davantage de biocarburants dans l'essence en réduisant la part des combustibles fossiles les plus riches en carbone, le Canada a senti qu'il devait répliquer par les voies diplomatiques même s'il ne vend pas, du moins pas encore, du pétrole de l'Ouest de l'autre côté de l'Atlantique. L'ambassadeur du Canada auprès de l'UE, Ross Hornby, a dénoncé par les voies diplomatiques cette «discrimination injustifiable» envers le pétrole canadien. Le Canada a été le seul pays à attaquer cette politique environnementale de l'UE. Après avoir songé un moment à donner raison aux pressions politiques du Canada, l'UE serait revenue à sa politique initiale, qui sera prochainement annoncée.

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