GES: la stratégie d'Ottawa n'aura aucun effet

Jim Prentice
Photo: La Presse canadienne (photo) Jim Prentice

Présentées comme un des éléments clés de la stratégie fédérale de réduction des émissions de gaz à effet de serre, les normes que le gouvernement compte imposer aux constructeurs automobiles n'auront en fait qu'un impact minime, voire nul. C'est du moins la conclusion à laquelle en vient l'Institut Pembina dans une analyse publiée hier.

Le ministre de l'Environnement, Jim Prentice, a dévoilé en avril son projet de «Règlement sur les émissions de gaz à effet de serre des automobiles à passagers et des camions légers». Celui-ci doit permettre, dès l'an prochain, d'améliorer le rendement des voitures et camions légers neufs vendus au pays de façon à ce que les modèles 2016 émettent 25 % de moins de gaz à effet de serre (GES) que ceux vendus en 2008. Selon le ministre, ces nouvelles normes «ambitieuses», harmonisées avec celles des États-Unis, devraient générer des bénéfices substantiels pour l'environnement, les consommateurs et l'industrie.

Mais l'Institut Pembina, reconnu pour ses études sur les questions énergétiques, n'est absolument pas de l'avis de M. Prentice. «Lorsqu'on étudie attentivement les chiffres du gouvernement, on constate que la réglementation, telle que proposée actuellement, permet tout simplement à l'industrie automobile de continuer à fabriquer des véhicules comme si de rien n'était, "business as usual"», soutient son directeur du programme sur les changements climatiques, Matthew Bramley.

Soulignant que les constructeurs ont déjà tendance à concevoir des véhicules toujours plus efficaces en matière de consommation de carburant — la consommation moyenne des voitures est passée de 8,2 à 6,8 litres/100 km depuis 1990 —, l'analyse de l'Institut Pembina conclut, graphique à l'appui, que les règles proposées ne permettront pas d'améliorer les choses. «Ces règles exigent peu de changements de la part des constructeurs automobiles, même jusqu'à la fin de la durée des règlements en 2016», affirme-t-on. Un constat qui vaut semble-t-il pour les voitures et les camions légers, qui comptent pour 12 % des émissions canadiennes de GES.

M. Bramley en a particulièrement contre les «crédits d'action précoce» accordés par Ottawa et qui s'appliquent aussi pour les modèles 2009 et 2010. Ces crédits permettent aux constructeurs qui ont dépassé les objectifs fixés pour une année d'obtenir des exemptions utilisables au cours des cinq années suivantes pour se conformer à la

législation. Comme le seuil à partir duquel sont calculés les crédits est fixé à 8,6 litres/100 km (plus que la moyenne de 1990), il est relativement aisé de l'atteindre, compte tenu de la consommation moyenne des voitures au pays. M. Bramley estime donc que la somme des crédits disponibles pour les seuls modèles 2009 et 2010 «est plus que suffisante pour que l'industrie se conforme aux nouveaux standards jusqu'en 2015, sans améliorer la consommation d'essence de ses voitures». Il propose donc carrément de les abolir.

«Il n'y a aucune raison de donner des crédits pour l'action hâtive lorsque les fabricants de voitures, selon toute évidence, semblent se porter très bien financièrement. Il n'y a pas de preuves que ces constructeurs ont fait des sacrifices financiers pour fabriquer des voitures plus efficaces au cours des dernières années», ajoute-t-il.

Le chercheur dénonce aussi la volonté d'harmoniser les normes d'émissions canadiennes avec celles du voisin américain. «Les règlements harmonisés entre le Canada et les États-Unis [font perdre] au Canada presque tout son avantage historique en termes d'efficacité énergétique par rapport aux Américains. On devrait passer d'un avantage de près de 6 % actuellement, à 1,5 % en 2016. Ce n'est pas une bonne nouvelle pour l'environnement, ni pour le consommateur. On sait bien que lorsque notre véhicule est moins efficace, on dépense plus d'essence.» Selon le ministre Prentice, il est nécessaire d'harmoniser les règles puisque le marché nord-américain de l'automobile est pleinement intégré.

L'Institut Pembina reconnaît par ailleurs que son analyse pourrait être plus raffinée. Le hic, selon l'évaluation de M. Bramley, c'est que la réglementation proposée par le gouvernement est très complexe et qu'Environnement Canada serait peu enclin à partager les informations qui ont permis de l'élaborer. Il invite donc le ministre Prentice à «fournir une évaluation complètement transparente de la réglementation» avant qu'elle soit finalisée cet automne. Un exercice d'autant plus nécessaire que le groupe juge que les calculs du fédéral semblent dans certains cas erronés.

Atteindre les objectifs


Difficile, dans ces conditions, d'atteindre les objectifs de réduction des GES qu'Ottawa s'est fixés pour les dix années à venir. «Le Canada s'est engagé à réduire d'ici 2020 le total de ses émissions de gaz à effet de serre de 17 % par rapport aux niveaux de 2005. S'il veut y parvenir, on a besoin d'avoir des politiques qui permettent d'aller beaucoup plus loin que le statu quo, que ce soit dans le secteur des automobiles et camions légers ou dans tout autre secteur.» Mais il doute de voir le ministre réviser son projet de réglementation.

Selon ce qui est indiqué dans le plan de mise en application du protocole de Kyoto dévoilé le mois dernier, le gouvernement conservateur aurait réduit de 10 fois son objectif de réduction des émissions de GES pour l'année 2010, le faisant passer de 57 millions à 5 millions de tonnes. Quant à sa cible pour 2012, dernière année pour atteindre les objectifs du protocole de Kyoto, elle aurait aussi fondu de 72 à 10 millions de tonnes, soit une réduction de 7 fois.

Selon ce qu'expliquait alors Matthew Bramley au Devoir, si le Canada a réduit de 10 fois son objectif pour l'année en cours, c'est parce qu'il a mis de côté l'engagement de son plan d'action de 2007, Prendre le virage, qui prévoyait imposer cette année des réductions aux grands émetteurs de GES, comme les raffineurs de pétrole et de métaux ainsi que les propriétaires de centrales thermiques.

Le Canada prévoit dépasser en 2012 de 809 millions de tonnes le maximum cumulatif de 2,7 milliards de tonnes autorisé en cinq ans par le protocole. Fin décembre 2012, le Canada, selon les dernières prévisions fédérales, dépassera de 34,9 % l'objectif légal du protocole.

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