Comment sauver le Grand Nord?

Le Canada doit réorienter plusieurs de ses politiques pour qu'elles concourent à sauver les régions nordiques du réchauffement climatique en augmentant la capacité des collectivités à s'adapter et à réagir au mégaphénomène environnemental.
Tel est le coup de barre que réclame la Table ronde nationale sur l'environnement et l'économie (TRNEE) dans un rapport qui sera rendu public ce matin et dont Le Devoir a obtenu copie.Il faut ainsi, selon la TRNEE, que le gouvernement fédéral intègre dorénavant le «risque climatique» dans ses programmes, politiques et mécanismes gouvernementaux de toute sorte afin qu'ils concourent de façon plus efficace à aider les populations nordiques à affronter un problème qui se pose chez eux déjà avec une acuité beaucoup plus grande qu'ailleurs au pays.
La TRNEE, un organisme parrainé par Ottawa et formé par d'éminents représentants du secteur industriel canadien et d'écologistes, estime par ailleurs qu'il faut associer de près les populations nordiques à la conception de nouvelles solutions et à l'amélioration de leur capacité d'adaptation. Un des principaux moyens à mettre en branle consiste, selon le rapport, à «renforcer la capacité et l'information scientifique utilisées dans le Nord pour appuyer les efforts d'adaptation à long terme» en réanimant les recherches sur le climat, lesquelles Ottawa a sabré au cours des dernières années.
Le gouvernement canadien doit aussi améliorer la capacité des populations nordiques à consolider ou à rénover leurs infrastructures, presque toutes menacées par le dégel du pergélisol, l'érosion des berges, les inondations, le déplacement des populations animales, etc.
Plus qu'ailleurs dans le monde et au Canada, note le rapport, le réchauffement du climat se fait sentir plus fort et plus vite que dans les scénarios les plus pessimistes.
La fonte rapide des glaces de nos régions nordiques aura aussi un «impact sur la sécurité du Canada», ajoute le rapport, tout comme elle offrira de nouvelles possibilités de développement avec l'ouverture des passages marins.
«L'accès à nos riches ressources minières devient plus invitant et possible, y lit-on. Les domaines du tourisme et des pêcheries prennent de l'expansion. Les nouvelles routes maritimes pourraient soulever de nouveaux enjeux de souveraineté. Par conséquent, des écosystèmes fragiles et uniques seront assujettis à de nouvelles agressions.»
Le rapport en mentionne plusieurs, dont la fonte du pergélisol et de la glace marine, le décalage dans la distribution de la faune et de la flore, ainsi qu'une intensification de la navigation maritime et de l'exploration gazière ou pétrolière avec leur cortège de pollution et d'atrophie des écosystèmes côtiers et marins.
Mais à court terme, ce sont des infrastructures dont dépendent les populations humaines, qu'il faut sécuriser par une réorientation rapide des politiques fédérales.
Le rapport mentionne ainsi les risques d'effondrement ou de dégâts majeurs en ce qui concerne les routes, les bâtiments, les tours de communications, les systèmes énergétiques et les sites d'élimination des déchets des collectivités ainsi que des exploitants des ressources énergétiques et minières. Ottawa doit donc revoir à la hausse le financement qu'il consacre présentement à restaurer ces infrastructures. Il doit aussi regarder en avant et revoir les codes et normes d'ingénierie et de construction pour tenir compte désormais non seulement du risque climatique dans l'ensemble du pays, mais tout particulièrement dans le Nord, où prévalent des conditions particulières.
Le rapport propose même à Ottawa de revoir avec les assureurs canadiens les modalités des assurances dont doivent bénéficier les citoyens «dans un climat changeant afin que les produits d'assurance encouragent les modifications de l'infrastructure à la lumière des risques climatiques».
Une dernière recommandation apparaîtra à plusieurs comme un blâme déguisé contre les ponctions faites par Ottawa dans les budgets de recherche, que dénoncent chercheurs et écologistes depuis au moins deux ans. Le rapport conclut en effet à la nécessité pour Ottawa «d'investir dans la mise à jour et la transmission de données plus complètes sur le climat, les projections liées au changement climatique et les informations en ce qui a trait à l'aménagement des infrastructures.»
Enfin, le fédéral doit adopter pour le Nord canadien des «approches de prévention des catastrophes et de renforcement de la préparation» des collectivités pour les affronter, tout comme il doit revoir les moyens qu'il peut mettre en branle d'urgence pour les aider et pour qu'ils puissent eux-mêmes réagir efficacement.