Québec s'attaque aux déchets organiques

Comme ses concurrents, le dépotoir de Lachenaie, le plus important au Québec, se verra privé de ses apports en matières organiques d'ici 2020
Photo: - Le Devoir Comme ses concurrents, le dépotoir de Lachenaie, le plus important au Québec, se verra privé de ses apports en matières organiques d'ici 2020

Québec, qui a encore autorisé récemment des agrandissements de sites d'enfouissement, entend déposer l'an prochain une stratégie visant à y «bannir» d'ici 2020 toute forme d'enfouissement de matières organiques putrescibles, qu'elles proviennent de votre table, des hôpitaux, des cafétérias de cégep, des restaurants, des commerces ou de l'industrie alimentaire.

La nouvelle politique, dévoilée hier à Candiac par Line Beauchamp, ministre du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs, commence par bannir «au plus tard en 2013» l'enfouissement du papier et du carton.

Par la suite, soit d'ici 2015, Québec prévoit sortir des sites d'enfouissement 60 % des déchets organiques putrescibles, lesquels devront plutôt être compostés ou «biométhanisés», c'est-à-dire décomposés sous vide par des bactéries anaérobies. Ce procédé provoque la formation de méthane, que les municipalités pourront utiliser pour leur chauffage, leurs véhicules ou la production d'électricité.

En 2006, seulement 10 % des matières organiques étaient détournées des sites d'enfouissement, où leur décomposition dans le sol ou dans les cellules génère des émissions de méthane, un gaz 21 fois plus actif comme gaz à effet de serre que le gaz carbonique.

Selon Line Beauchamp, l'essor de cette nouvelle filière exigera des investissements de 650 millions. Québec absorbera les deux tiers des coûts de la biométhanisation par les villes et 25 % des projets privés. Quant au compostage, Québec remboursera aux municipalités 50 % des coûts admissibles.

Pour réduire davantage le recours à l'enfouissement, Québec modifiera la Loi sur la qualité de l'environnement pour y inclure une hiérarchisation juridique des filières en fonction de la politique des 3RV. Dans l'ordre, il faudra d'abord réduire les déchets à la source, réutiliser ce qui peut l'être et recycler le reste. La «valorisation» énergétique, un synonyme d'incinération avec récupération de chaleur, ne devrait s'appliquer qu'aux résidus de ces filières.

Pour freiner le recours toujours populaire à l'enfouissement, Québec va augmenter de 9,50 $ la redevance exigée pour l'enfouissement, ce qui la portera à un peu plus de 20,17 $ la tonne de déchets. Et il s'engage à hausser davantage cette taxe si le recours à l'enfouissement ne ralentit pas.

Globalement, Québec formule autrement ses objectifs de réduction d'ici 2015: il propose de ramener de 810 kilos à 700 kilos par personne au Québec la quantité des matières résiduelles, c'est-à-dire ce qu'on envoie à l'élimination en fin de cycle du recyclage, du compostage et de la biométhanisation. Cela équivaudrait à hausser l'objectif de la récupération à quelque 70 %, soit une maigre proportion de 5 % de plus par rapport à la politique pour 1998-2008. Mais, comme la part de la récupération est présentement de 57 %, le gain planifié par Québec est de 13 %. Pour le papier, le carton, le plastique, le verre et le métal, Québec propose un objectif de récupération là aussi de 70 %, alors que celui visé par le plan sur les matières organiques recyclables est sensiblement plus bas, soit 60 %.

Le secteur de la construction (béton, brique et asphalte) se voit attribuer l'objectif de recycler 80 % des matériaux récupérés, alors que les résidus de rénovation et de démolition du secteur du bâtiment devront être recyclés à 70 %.


Pollueur-payeur

Québec entend pousser plus loin, dans sa nouvelle politique, l'application du principe pollueur-payeur en obligeant, par une nouvelle loi, les producteurs de déchets à assumer non plus 50 % mais 100 % du coût de la récupération de leurs produits par les municipalités.

De plus, Québec entend reporter du municipal vers les producteurs privés la responsabilité de récupérer leurs produits en fin de vie utile, au lieu de confier ce travail aux municipalités. Cela obligera certaines industries à faire face à des coûts de récupération accrus, qu'ils devront facturer aux utilisateurs de ces biens, ce qu'on appelle l'internalisation des coûts écologiques.

Dans les prochaines semaines, Québec déposera un projet de règlement qui obligera ainsi les producteurs de produits électroniques (ordinateurs, écrans, imprimantes, téléviseurs, téléphones, périphériques divers, télécommandes, cartouches d'encre, etc.), de tubes fluorescents, de piles et de lampes au mercure à mettre en place des moyens efficaces pour récupérer leurs produits. Québec assujettira deux nouveaux secteurs aux deux ans à cette politique dite de «responsabilisation élargie des producteurs». Ce sera notamment l'obligation des fabricants de pneus, qui devront gérer eux-mêmes l'actuelle consigne ou un système de leur cru dès 2012.

Le sort de la consigne sur les bouteilles d'eau gazeuse demeure incertain: Québec va vérifier si la récupération de ces bouteilles serait tout aussi efficace via la collecte sélective des municipalités, avant d'abolir la consigne, qui permet de récupérer plus de 70 % des contenants. Québec ne semble pas intéressé à élargir aux bouteilles d'eau ou de jus la pratique de la consigne, ce que pourraient faire cependant les générateurs privés de ces déchets s'ils veulent atteindre leurs objectifs de récupération pour éviter les pénalités prévues en cas de gestion trop laxiste.


Réactions positives

La Fédération québécoise des municipalités (FQM) et l'Union des municipalités du Québec (UMQ) ont réagi favorablement aux orientations de la nouvelle politique et en particulier au fait que les générateurs de déchets vont devoir assumer 100 % des coûts de la récupération de leurs produits en fin de vie utile. Selon la FQM, cependant, la principale faiblesse de cette politique, c'est le peu de mesures tangibles planifiées par Québec pour réduire à la source la production de déchets par des emballages inutiles, des produits jetables, etc., un jugement qu'entérine de son côté le Regroupement national des conseils régionaux de l'environnement (RNCRE).

Le laisser-faire de Québec concernant la réduction à la source a eu pour effet, selon la FQM, de faire passer, de 1994 à 2006, soit en 14 ans, le volume de matières résiduelles de 7 à 13 millions de tonnes par année. Le RNCRE note aussi avec regret, de son côté, le fait que Québec a omis dans sa politique de fixer un objectif de réduction général en pourcentage pour la réduction à la source, le recyclage et la mise en valeur des matières résiduelles, soit ce qui va aller encore à l'enfouissement. La FQM et le RNCRE déplorent aussi que la fin de l'enfouissement des matières organiques putrescibles soit étalée sur 10 ans au lieu de 5 ans.

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