Chaire en paysage et environnement - « Les Québécois ne savent toujours pas à qui s'adresser en matière de paysage »

Si la préoccupation grandissante des Québécois envers les enjeux écologiques est indéniable, la demande sociale à l'égard du paysage est elle aussi en train de se confirmer. Pas très étonnant, puisque le «paysage» est un concept touche-à-tout qui revient constamment aujourd'hui dans les dossiers d'aménagement du territoire.
Le terme de «paysage» renvoie à la fois au territoire lui-même mais aussi, et surtout, à l'intérêt que portent les populations à ce territoire. «Aux préoccupations écologiques s'ajoutent donc des valeurs sociales comme le cadre de vie, l'appartenance à un quartier ou encore le lien identitaire», expliquent Gérald Domon et Sylvain Paquette, chercheurs rattachés à la Chaire en paysage et environnement de l'Université de Montréal. Tous deux sont organisateurs du premier forum québécois sur la demande sociale en paysage.Acteurs locaux
La rencontre, qui se tiendra les 16 et 17 juin à l'Université de Montréal, permettra aux acteurs locaux qui ont entrepris des projets de mise en valeur et de protection des paysages de rendre compte de leurs expériences. Ce sera aussi l'occasion pour les décideurs de prendre connaissance des difficultés rencontrées par ces intervenants locaux et d'amorcer un meilleur dialogue avec la société civile.
«Ce type de rencontre n'existe nulle part ailleurs», explique Gérald Domon. Pour lui, l'idée d'un forum sur le paysage qui cherche avant tout à donner la parole au public est complètement nouvelle.
Un des buts de cette rencontre est d'ailleurs de mettre en réseau les acteurs locaux des diverses régions de la province. «Des projets d'aménagement similaires sont réalisés par des habitants des Cantons-de-l'Est et ceux de Lanaudière, explique Sylvain Paquette. Comparer leur expérience respective durant les séances plénières les aidera beaucoup.»
Très populaire, le forum réussit à attirer des habitants de toutes les régions du Québec. Au niveau institutionnel, on attend plusieurs élus locaux, comme les maires de Baie-Saint-Paul et de l'île Verte, MM. Jean Fortin et Gilbert Delage, ainsi que des représentants de différents ministères. Des aménagistes professionnels se joindront également aux discussions. «Nous avons même été obligés de refuser des gens», expliquent les organisateurs.
Bien qu'il s'adresse avant tout à la scène locale, le forum accueille deux experts internationaux: Jean-François Séguin, président de la Conférence de la Convention européenne du paysage, et Maguelonne Déjeant-Pons, chef de la Division de l'aménagement du territoire au Conseil de l'Europe. Ils s'entretiendront respectivement des «défis du paysage» et des «leçons à tirer de la Convention européenne des paysages, sept ans après sa création».
Les débuts du paysage
C'est dans les années 1980 que les Québécois commencent à s'intéresser sérieusement aux enjeux liés au paysage. «Avec les projets de corridors hydro-électriques au-dessus du fleuve Saint-Laurent, comme la traversée de Lotbinière, la population a compris combien il était important de maintenir la qualité visuelle de son patrimoine», explique Gérald Domon.
C'est aussi à cette époque que se modifie le rapport des Québécois avec le territoire. Les gens ont commencé à fréquenter le milieu rural moins pour ses dimensions productives, ou agricoles, et davantage pour ses dimensions qualitatives (cadre de vie agréable, sites de villégiature, etc.). Les questions de paysage sont alors devenues primordiales.
En dépit de cette demande sociale grandissante, la réponse du ministère de l'Environnement reste timide, constate Gérald Domon. «Tout comme il y a dix ans, les Québécois ne savent toujours pas à qui s'adresser en matière de paysage», précise-t-il. Le chercheur regrette d'ailleurs que la Loi sur le développement durable, adoptée par le gouvernement provincial en 2000, n'ait pas créé un poste de responsable du dossier paysage, comme il en existe un clairement identifié pour le transport ou la pollution. Gérald Domon raconte à la blague que, jusqu'à maintenant, les citoyens qui ont voulu amorcer des démarches de mise en valeur ou de protection des paysages tapaient «paysage Québec» dans le moteur de recherche Google et tombaient sur le site Internet de la chaire de l'Université de Montréal.
Plus de concertation, s'il vous plaît !
Autre problème majeur en matière de paysage, qu'affrontent à l'heure actuelle les acteurs locaux: le manque de concertation entre les différentes instances décisionnelles. Le cas du projet novateur Continuum ville-campagne à Longueuil en est un exemple frappant.
En 2000, le ministère de l'Agriculture a demandé à l'agglomération de Longueuil d'examiner le potentiel d'un grand territoire agricole en friche, situé en périphérie de la zone résidentielle.
Le comité consultatif agricole (CCA) a proposé de faire une utilisation multifonctionnelle du territoire périurbain. «C'était une façon d'établir une continuité et des liens entre la zone agricole et la zone urbaine», explique Mélina Planchenault, conseillère en aménagement périurbain pour la Ville de Longueuil.
Trois volets sont ainsi proposés: le développement d'une agriculture écologique de proximité, la préservation de la forêt agricole périurbaine de 1500 hectares (contribuant à une réduction de 450 000 tonnes de CO2) et la création d'un espace de vie agréable pour les citoyens et propice à leurs activités récréatives (randonnées à pied, balades en vélo, etc.). «Le projet Continuum ville-campagne englobe ainsi parfaitement les demandes économiques, écologiques et sociales de la population à l'égard du paysage», poursuit-elle.
Bien que les ministères de l'Agriculture et des Affaires municipales aient donné leur feu vert au projet, le ministère de l'Environnement s'est rendu compte que Longueuil faisait partie d'un grand bassin versant en surplus de phosphore. «Le ministère bloque pour le moment le démarrage des travaux de remise en culture, malgré l'aspect novateur de la planification territoriale agricole durable réalisée dans l'agglomération de Longueuil», déplore Mélina Planchenault.
Pour Sylvain Cormier, ce manque de cohérence illustre parfaitement le besoin d'un forum sur le paysage. «La rencontre permettra aux différents décideurs et aux membres de la société civile de se consulter», conclut-il.
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La programmation complète du forum est accessible en ligne dans le site de la Chaire en paysage et environnement de l'Université de Montréal à www.paysage.umontreal.ca. Pour plus d'information sur la rencontre, vous pouvez également communiquer avec Gérald Domon à gerald.domon@umontreal.ca.
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Collaboratrice du Devoir