Saguenay - Des lièvres contaminés aux furannes

Le lièvre a été choisi comme bio-indicateur pour étudier le transfert des toxiques de l’incinérateur
Photo: Le lièvre a été choisi comme bio-indicateur pour étudier le transfert des toxiques de l’incinérateur

L'Agence de la santé et des services sociaux du Saguenay-Lac-Saint-Jean a confirmé par une étude en cours depuis deux ans que des lièvres capturés dans le voisinage de l'incinérateur de déchets toxiques de Récupère-Sol à Saint-Ambroise, au Saguenay, contenaient des taux de furannes anormalement élevés.

Mais, expliquait le biologiste Michel Savard qui a travaillé sur ce bilan, les services de santé ne vont pas diffuser d'avis de santé publique pour interdire la consommation de lièvres dans une région où ce petit gibier fait partie de la fameuse tourtière locale. En effet, les mêmes services estiment que si l'on a effectivement confirmé une bioaccumulation de ces molécules hypertoxiques dans les lièvres, les taux demeurent suffisamment faibles pour ne poser aucun problème de santé publique.

Mais si l'on ne peut pas dire — «pour l'instant» — que le transfert des furannes dans la chaîne alimentaire pose un problème de santé publique, «c'est évident qu'il y a là un problème d'environnement, car on sait depuis 2004 que le niveau des dioxines et des furannes autour des équipements de Récupère-Sol dépasse de 100 fois le bruit de fond» régional, une expression qui désigne le niveau que l'on retrouve partout au Québec, même dans les milieux sauvages utilisés à des fins comparatives.

C'est l'ancien ministre de l'Environnement Thomas Mulcair qui avait ordonné à Récupère-Sol de vérifier si les dioxines et furannes identifiés autour de son incinérateur se bioaccumulaient dans la chaîne alimentaire locale.

Le lièvre fut choisi comme «bio-ndicateur» parce qu'il demeure actif toute l'année, y compris en hiver, alors qu'il continue de manger des végétaux saupoudrés de molécules toxiques.

Les services de santé de cette région estiment que, si l'obligation d'assurer un pareil suivi de l'infiltration de ces contaminants dans la chaîne alimentaire arrive à terme sous peu, «il faudrait rendre cette obligation permanente, car les dioxines et les furannes sont reconnus pour être particulièrement persistants dans l'environnement et donc, leurs concentrations vont inévitablement aller en augmentant à moins d'interventions pour limiter les émissions», précise le biologiste des services de santé.

Les dioxines et les furannes font partie de la liste des 12 substances «persistantes» que vise un traité international pour les éliminer partout sur la planète parce qu'elles résistent pendant des siècles à la biodégradation et se transmettent d'un être vivant à l'autre tout en altérant les mécanismes cellulaires et même le code génétique. Il s'agit des deux molécules probablement les plus toxiques jamais libérées par l'action humaine, soutient la communauté scientifique. Cette famille de toxiques, qui compte plus de 200 molécules différentes, est réputée cancérigène et mutagène à certaines doses que l'on calcule en parties par billion (10 -12).

Mais les normes actuellement utilisées par les services de santé pour établir le niveau de risque pour les humains sont de plus en plus contestées, car elles sont basées sur des doses-réponses jugées relativement élevées. Or les scientifiques découvrent que moins les doses sont élevées, plus le risque est grand d'induire en erreur le système endocrinien, le régulateur chimique de notre organisme. En effet, plus les doses de dioxines et de furannes sont faibles, plus notre système endocrinien les confond avec des messages chimiques normaux provenant de nos glandes. Ces véritables «imposteurs» endocriniens posent un problème nouveau en environnement puisque la seule norme et la seule défense consistent à les éliminer totalement.

Des risques variables

L'étude sur les lièvres autour de l'usine de Récupère-Sol a permis d'établir que ce sont les furannes et non les dioxines présentes dans ce secteur qui font problème et sont bioaccumulées dans les organes de ce petit gibier très prisé pour sa chair fort goûteuse. C'est la consommation du foie des lièvres qui pose le risque le plus important, car l'on y a retrouvé des concentrations allant jusqu'à 209 parties par billion ou picogrammes. Si l'on divise ce niveau par le poids d'un adulte de 70 kg, on obtient une ingestion de 3 picogrammes par repas. Mais si ce foie est mangé par un enfant de 15 kg, on obtient une ingestion de 14 picogrammes de furannes.

Or, explique le biologiste Savard, il y a quelques années, chaque Québécois absorbait par la nourriture, l'eau et l'air environ 5 picogrammes de ces molécules toxiques par jour. La fermeture des incinérateurs municipaux, l'obligation pour les papetières de ramener à zéro leurs rejets de dioxines et de furannes, etc., ont ramené le niveau d'absorption moyen au Québec autour de 1 picogramme par jour. Et l'objectif de santé publique est de viser 10 fois moins, soit 0,1 picogramme. Mais, ajoute le biologiste, même dépasser la dose quotidienne une fois de temps à autre ne change pas beaucoup la charge corporelle moyenne à long terme.

Mais, dans la région de Saint-Ambroise, les résultats de cette étude ont suscité une vive inquiétude, car, à l'époque, Récupère-Sol avait pu installer son incinérateur sans passer par la procédure d'audience publique sous prétexte qu'il s'agissait d'un projet expérimental. C'est après l'implantation de cet incinérateur de déchets organiques toxiques, qui contiennent notamment des BPC, dont plusieurs stocks en provenance des États-Unis, qu'il y a eu une audience publique. Mais la société Bennett, qui veut construire un autre incinérateur dans la Baie des Chaleurs du côté du Nouveau-Brunswick juste en face du Québec, a toujours soutenu qu'il n'y aurait aucune contamination aux dioxines et aux furannes, et encore moins un passage de ces molécules dans la chaîne alimentaire, comme vient de le confirmer l'étude des services de santé publique.

Par contre, ni les services fauniques québécois ni le ministère de l'Environnement n'ont vérifié par une étude similaire si les autres espèces vivantes de cet écosystème absorbent ces contaminants et quelles sont les séquelles, le cas échéant. Ailleurs dans le monde, les services environnementaux, responsables de l'intégrité des écosystèmes, vérifient dans pareils cas combien d'espèces sont contaminées et si les taux absorbés provoquent des cancers ou des malformations congénitales pour avoir une idée plus nette de ce qui peut toucher les humains à un stade ultérieur.

L'étude a aussi porté sur des lièvres qui fréquentent un autre site, soit celui de Recyclages Larouche, un recycleur situé dans une autre localité qui nettoyait de vieux équipements électriques. Les émissions atmosphériques de cette petite usine ainsi que les sols voisins qui ont reçu des BPC ont aussi contaminé les lièvres du voisinage dans des proportions allant bien au-delà de ce que l'on retrouvait dans le site-témoin, soit un secteur du lac Kénogami où l'on ne trouve aucune activité industrielle. Dans ce cas-ci, c'est le BPC 126, une des nombreuses molécules de cette famille de toxiques, qui est principalement en cause. Tout comme les furannes formés de quatre ou de cinq atomes de chlore sont les plus problématiques du cocktail présent dans les lièvres de Saint-Ambroise.

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