Le Nouveau-Brunswick gagne la course des ports méthaniers

Photo: Canaport LNG
Le port méthanier du Nouveau-Brunswick est presque terminé et sera opérationnel en décembre.
Photo: Photo: Canaport LNG Le port méthanier du Nouveau-Brunswick est presque terminé et sera opérationnel en décembre.

Pendant qu'au Québec les projets de ports méthaniers de Rabaska et de Gros-Cacouna suscitent une vive controverse, celui de Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick, va résolument de l'avant, prêt à partir à la chasse aux clients. Ouverture prévue: décembre prochain.

Passé la raffinerie d'Irving Oil, dans la zone industrielle de Saint-Jean, N.-B., quelques kilomètres à peine sur une route de chantier boueuse permettent d'atteindre le site de Canaport LNG, un projet d'un milliard de dollars qui deviendra dès la fin de cette année le premier port méthanier du Canada et le troisième à partir de Boston, sur la côte est nord-américaine.

Caché derrière la colline de Red Head, en bordure de la baie de Fundy, le terminal de gaz naturel liquéfié (GNL) est aux trois quarts construit, à deux pas des citernes de pétrole brut d'Irving Oil, à l'origine du projet en 2001 mais qui s'est associé trois ans plus tard à l'espagnol Repsol YPF, qui en détient désormais 75 % du capital.

Le gaz est liquéfié à basse température pour en réduire le volume et en faciliter le transport. À l'arrivée par bateau, il est stocké dans des réservoirs avant d'être regazéifié. «Le terminal sera opérationnel avec un réservoir en décembre prochain, avec deux en mai 2009 et avec trois en janvier 2010, assure Francisco Garcia-Tobar, directeur financier de Canaport. À cette date, il pourra distribuer 56 millions de m3 de gaz naturel par jour», ajoute-t-il. D'ici 2025, le groupe lorgne ni plus ni moins que 20 % du marché de GNL dans le Nord-Est américain, lequel sera en forte progression. D'après les prévisions, le GNL devrait alors répondre à un cinquième de la demande locale en gaz naturel contre à peine 2 % actuellement.

Canaport a un avantage de taille sur ses «concurrents» éventuels du Québec et de la Nouvelle-Écosse pour couvrir le marché de l'est du Canada et de la Nouvelle-Angleterre. Non seulement sera-t-il mis en service avant même qu'un coup de pioche n'ait été donné au Québec, mais il a d'ores et déjà une source d'approvisionnement sécurisée en GNL, ce qui est loin d'être le cas pour Rabaska et encore moins pour Gros-Cacouna, projet remis aux calendes grecques justement par défaut d'entente d'approvisionnement signée.

Le GNL de Canaport viendra, dans un premier temps, de Trinité-et-Tobago, dans les Caraïbes, apporté en dot par Repsol lui-même. L'entreprise espagnole y a ses propres intérêts. Elle est aussi engagée dans un projet de GNL en Algérie (Gassi Touil) qui pourrait être son deuxième fournisseur. Ni Gros-Cacouna ni Rabaska n'ont une telle assurance. De plus, Canaport est installé au bord de la baie de Fundy, libre de glace à longueur d'année, ce qui n'est pas le cas du fleuve Saint-Laurent. Le projet a en outre bénéficié d'un large appui de la population locale (76 %).

Prendre tous les moyens

Ses promoteurs n'ont certes pas lésiné sur les moyens pour emporter l'adhésion populaire, organisant de vastes consultations publiques (sur 41 mois, précise-t-on) et de nombreuses visites de chantiers. Canaport a également créé un «comité de liaison avec la communauté» qui se réunit une fois par mois pour informer la population de l'état d'avancement du projet et, en retour, recevoir doléances et suggestions.

On a par ailleurs construit, en marge de la route du chantier, une voie alternative de sept kilomètres pour faciliter la vie aux résidants d'une douzaine de maisons proches du terminal, un «cadeau» de dix millions de dollars à la ville! Celle-ci devrait en outre recevoir chaque année 15 millions de dollars en taxes nouvelles. Autre cadeau d'importance offert à la communauté en décembre dernier: un don de 450 000 $ à la fondation de l'hôpital Saint-Joseph pour l'aider à remplacer l'une de ses trois unités de dépistage de cancer du sein, rendue obsolète.

Le chantier de Canaport a bien sûr eu un fort impact sur l'économie de la région, avec 600 emplois en moyenne, parfois 1200 en période de pointe de construction. Lorsqu'on atteindra la phase opérationnelle, il n'en restera plus toutefois que 40 ou 50.

Le Québec n'est pas absent du projet puisque c'est SNC-Lavalin qui a remporté le contrat d'ingénierie et de construction en mai 2006, avec CENMC, filiale de l'italien Saipem SPA. Plusieurs dizaines d'ingénieurs ont planché dessus pendant des mois aux bureaux de Montréal et sur le chantier. Aujourd'hui, 600 ouvriers s'affairent encore sur le site, qui couvre 89 hectares. Ce mois-ci, ils sont nombreux à travailler à la construction des murs d'un troisième réservoir de GNL.

Fer de lance

Les deux premiers, imposants, sont déjà sortis de terre. Ces immenses cylindres en béton armé (80 mètres de diamètre, 40 mètres de hauteur), dotés d'une cuve intérieure en acier, «pourront stocker 160 000 m3 de GNL chacun, soit l'équivalent de l'eau de 64 piscines olympiques pour les trois», indique un document de la compagnie. Après le stockage, on entamera sur place le processus de regazéification par réchauffement. À la sortie des installations qui feront office de «chauffe-gaz» et avec un seul réservoir opérationnel, 28 millions de mètres cubes de gaz naturel seront déjà envoyés chaque jour par pipeline. Actuellement en construction, le «pipeline Brunswick», long de 145 km, assurera la connexion avec deux réseaux existants pour accéder au marché des Maritimes et surtout de la côte est américaine, par le Maine tout proche.

En période normale, «le terminal pourra compléter en moins de quatre jours tout le processus allant de l'arrivée d'un cargo chargé de GNL jusqu'au départ du gaz naturel par pipeline», explique Fraser Forsythe, directeur de la santé, de la sécurité et de l'environnement chez Canaport. Les bateaux accosteront à un quai sur pilotis, construit avec trois bras et qui a coûté 150 millions de dollars. Il est fin prêt, tout comme la salle de contrôle des opérations de déchargement. Elles seront rapides: il ne faudra pas plus de 24 heures pour chaque navire.

Dans les officines gouvernementales du Nouveau-Brunswick, on n'est pas peu fier du coup de maître réalisé avec ce grand projet. Le port méthanier s'inscrit clairement comme le fer de lance d'une stratégie voulant faire de la province un «carrefour énergétique de classe mondiale». Ne disposant pas, comme ses voisines de Nouvelle-Écosse et surtout de Terre-Neuve-et-Labrador, d'importantes ressources en pétrole et en gaz, voire en hydroélectricité, la province mise sur quelques projets majeurs pour placer ses pions sur l'échiquier des grands joueurs du secteur de l'énergie dans le Canada atlantique, avec une visée claire sur le marché en plein essor de la Nouvelle-Angleterre.

Le terminal Canaport a pour ambition de livrer les trois quarts de son gaz naturel dans cette région et le reste dans les provinces maritimes. Une seconde centrale nucléaire avec technologie CANDU vient de passer le stade de l'étude de faisabilité et a la même visée exportatrice qu'Irving Oil, qui veut ouvrir une deuxième raffinerie de pétrole à Saint-Jean en 2015. Objectif: doubler sa capacité de production (deux fois 300 000 barils de produit raffiné par jour) pour alimenter le marché de la région de Boston, en investissant sept milliards de dollars, avec BP comme partenaire, dans ces nouvelles installations.

Le gouvernement provincial pousse aussi à la production d'énergie éolienne, avec lancement récent d'appels d'offres pour 400 mégawatts, tout en multipliant les études en vue d'exploiter la puissance des fortes marées de la baie de Fundy, grâce à des turbines marémotrices dont la production «verte» pourrait bien aussi plaire aux États de la Nouvelle-Angleterre.

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