Toujours plus grosses, toujours plus puissantes

Le virage vert que tente d'imprimer le Salon de l'auto de Montréal depuis quatre ans à cette industrie et aux consommateurs ne semble avoir aucun effet sur les achats réels des Québécois, qui optent plutôt pour des voitures de plus en plus puissantes.
Et ce n'est pas le gouvernement Harper qui va y changer quelque chose, car la consultation publique sur les normes de consommation de carburant, annoncée hier au Salon de l'auto de Montréal par le ministre fédéral des Transports, Lawrence Cannon, prévoit au mieux de chaîner jusqu'en 2020 la politique canadienne de consommation des véhicules à celle de l'administration Bush. Dans le pire des cas, il en résultera un affrontement constitutionnel avec les provinces comme le Québec et le Manitoba, qui préfèrent s'inspirer des normes californiennes même si elles sont en retard d'une décennie par rapport aux normes européennes et asiatiques.Les données sur l'augmentation de la puissance du parc automobile québécois ont été confirmées hier au Devoir par deux sources.
Tout d'abord, le Centre d'expérimentation des véhicules électriques (CEVEQ) de Saint-Jérôme a établi à partir d'une compilation des véhicules immatriculés au Québec depuis dix ans que la puissance du parc québécois a augmenté de 55 % en une décennie.
«Cette compilation démontre que les gains réalisés par l'industrie automobile sur le plan technologique n'ont pas servi à diminuer la consommation des véhicules et leurs émissions de gaz à effet de serre», a expliqué au Devoir le directeur du CEVEQ, Pierre Lavallée. «Tout est allé à la puissance, à quelques exceptions près. Quand on constate que le kilométrage moyen parcouru par les Québécois a augmenté, que le nombre de voitures en circulation a augmenté et que leur poids et leur taille ont augmenté, on comprend pourquoi la consommation de carburant ainsi que les émissions de GES du parc automobile québécois augmentent en chiffres absolus.»
Une autre analyse réalisée par Daniel Breton et Mathieu Castonguay, de la Coalition Québec-Kyoto et de l'Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA), montre comment le «marketing vert» des constructeurs masque en réalité leur intérêt pécuniaire à miser sur la puissance.
MM. Breton et Castonguay ont comparé la consommation et la puissance de modèles populaires sur dix ans et l'évolution de leur puissance à partir de données états-uniennes, les cotes de consommation de l'année 1997 n'étant pas disponibles sur Internet au Canada.
Par exemple, la Ford Explorer 1997 (huit cylindres) avait une consommation ville/route de 12 et 17 milles au gallon américain (mpg). En 2008, le même véhicule affiche une consommation de 13/20 mpg. Cette situation s'explique par le fait que sa puissance est passée de 215 à 292 Ch en dix ans, soit une augmentation de 35 %. Pour sa part, la GMC Sierra a vu sa puissance augmenter de 31 % en dix ans (de 255 à 355 Ch), pour une consommation stable de 13/18 mpg.
Chez Honda, l'Accord a vu sa puissance passer de 120 à 177 Ch en dix ans, une hausse de 36 %, alors que sa consommation restait la même en ville (22 mpg) et s'améliorait légèrement sur la grande route (de 29 à 31 mpg). La petite Civic a suivi la même tendance en passant de 106 à 140 Ch, ce qui a accru sa consommation au lieu de la réduire, la faisant passer de 31/39 mpg en 1997 à 26/34 mpg en 2008.
Le pire exemple de la série relevée par les deux groupes environnementaux est celui de la Mazda Protegé 3, passée de 92 à 148 Ch en dix ans, une augmentation de 60 % qui coïncide avec une augmentation de sa consommation, de 26/33 mpg en 1997 à 24/32 mpg aujourd'hui.
Chrysler, qui construit quelques-uns des véhicules les plus énergivores, a toutefois stabilisé la puissance de sa célèbre Caravan à 150 Ch pendant dix ans, ce qui lui a permis d'améliorer sa consommation de carburant, de 16/23 mpg à 20/26 mpg pour son véhicule à quatre cylindres.
Quelques avancées
Les nouveautés ne sont pas nombreuses au Salon de l'auto Montréal en matière de performance énergétique des voitures.
Il faut cependant souligner la présence à Montréal de la Tesla, une sportive britannique entièrement électrique, construite à partir d'une Lotus Elise. Certains ados à casquette vont développer tout un complexe aux États-Unis s'ils croisent un «mononcle» au volant de ce bolide capable d'atteindre les 210 km/h avec un 0-100 en moins de quatre secondes, ce qui, à 100 000 $ l'unité, en fait une rivale des Ferrari et des Maserati pour la moitié du prix! Sans compter qu'avec ses 6831 piles d'ordinateur montées en série, le bolide a une autonomie de 350 kilomètres et un temps de recharge complet de seulement trois heures et demie, le temps d'un bon repas avant de poursuivre son chemin. Avis à ceux qui perçoivent encore l'auto électrique comme un monte-charge d'entrepôt!
La Prius de Toyota de deuxième génération permet de faire quelques kilomètres à basse vitesse en mode tout-électrique. Mais aux États-Unis, des ateliers la transforment déjà en mode «branchable» (plug in), ce qui lui confère plus d'une centaine de kilomètres d'autonomie en tout-électrique et la capacité de rouler sur l'autoroute. Au Salon de Detroit, Toyota a présenté une véritable branchable qui sera disponible en 2010. Un propriétaire pourra faire la quasi-totalité de ses déplacements urbains après une recharge nocturne, ce qui pourrait réduire sa consommation de carburant de 70 à 100 % dans la plupart des cas.
Quelques constructeurs ont présenté à Montréal des turbo-diesels très économes, soit Honda, Volkswagen et BMW avec sa Mini-Cooper. La Jetta sera disponible en version berline ou grande familiale l'été prochain, avec une consommation route de 5,1 litres aux 100 km. Une Honda turbo-diesel, qui sera disponible en version familiale spacieuse l'automne prochain, se contente de 4,8 litres aux 100 km sur la route et de 7,5 litres aux 100 km en ville, tout comme la Mini-Cooper.
De son côté, Toyota annonce pour l'automne prochain la Venza, une autre familiale spacieuse et manuelle de la taille d'une Camry, dont la consommation serait tout aussi exceptionnelle.
Ces voitures pourraient bien amorcer un intéressant renversement de tendance. À l'heure actuelle, avec des modèles qui imitent les anciennes familiales mais en leur donnant des allures sportives de petites camionnettes à grosses roues, la fonctionnalité de la plupart d'entre eux est à la baisse en matière d'espace de chargement, de pneus à grand diamètre (inadaptés au Québec) et de consommation, en raison de leur puissance inutile. Le retour de véritables familiales avec un centre de gravité plus sécuritaire, une consommation raisonnable et une conduire manuelle pour le plaisir de la conduite permet d'envisager le retour de voitures un peu plus fonctionnelles et plus rationnelles pour les petites familles.
Affrontement en vue
La visite du ministre Lawrence Cannon au Salon de l'auto hier n'a pas rassuré ceux qui espèrent que le parc automobile nord-américain perde cet air d'«arriéré technologique» qu'il affiche de plus en plus par rapport aux marchés actuels d'Europe et d'Asie, où on ne parle plus de milles par gallon ou de litres aux 100 kilomètres mais de grammes de CO2 par kilomètre et de normes plus exigeantes.
Le ministre Cannon a annoncé une consultation de 60 jours sur d'éventuelles normes canadiennes de consommation de carburant, encore calquée sur la stratégie des États-Unis. Les normes que vient d'entériner le président Bush ramèneraient la consommation moyenne des automobiles de 8,7 à 6,7 litres aux 100 km en 2020. Par contre, la Californie, qui veut atteindre cet objectif d'ici 2016 et dès maintenant de façon progressive, n'a pas pu mettre son règlement en vigueur car l'administration Bush a refusé d'autoriser ces normes, pourtant adoptées par 16 autres États.
Or le Québec et le Manitoba veulent imiter les normes californiennes si elles finissent par entrer en vigueur là-bas, une bataille d'au moins deux ans. Pour le ministre Cannon, la détermination de la consommation d'essence relève du gouvernement fédéral. Mais il reconnaît que «les provinces ont des responsabilités en matière d'environnement». Il écoutera donc ce qu'elles ont à dire, ainsi que les constructeurs et les écologistes.
À Québec, le premier ministre Jean Charest a promis hier de mobiliser les autres premiers ministres des provinces autour des normes californiennes, qu'il continue de privilégier.
Curieusement, le ministre Cannon, qui aligne spontanément le Canada sur les normes américaines en matière de consommation de carburant, a évité tout commentaire sur l'idée de voir le Canada imiter l'administration Bush, qui a décidé de ne pas utiliser le pétrole provenant des sables bitumineux de l'Alberta dans les équipements et les édifices fédéraux américains en raison des émissions de GES records qui y sont associées.