Le projet Rabaska divise même le milieu des écologistes

Il n'y a pas que les citoyens et les milieux d'affaires de la Vieille Capitale et de Lévis qui s'opposent entre eux à propos du projet Rabaska, ou les partis politiques présents à l'Assemblée nationale. Le milieu environnemental se retrouve aussi dans la tourmente et les séquelles risquent d'être persistantes.
Le milieu environnemental vit des heures difficiles dans le dossier Rabaska en raison de la stratégie de certains groupes de miser davantage sur la négociation de solutions visant à atténuer les impacts du projet avec le gouvernement plutôt que de s'y opposer dans une lutte à finir, basée sur la mobilisation du grand public.On retrouve dans cet affrontement, qui tourne à l'aigre, d'un côté la coalition Québec-Kyoto, qui a mené une guerre victorieuse contre le Suroît, il y a quelques années, qui s'est opposé au projet Cacouna et a réussi de peine et de misère à hisser récemment le projet Rabaska au rang d'enjeu environnemental national.
De l'autre côté, on retrouve Greenpeace et Équiterre, qui prônent une stratégie gouvernementale qui s'accommoderait du projet Rabaska s'ils parvenaient à convaincre Québec de réduire le bilan national de GES en planifiant un transfert du mazout lourd vers le gaz. Faire passer un équipement industriel du mazout au gaz peut se solder par une réduction de GES, en intensité toutefois, de 30 % à 40 % parce que le gaz est moins riche en carbone.
Le rapprochement entre Greenpeace et Équiterre repose en grande partie sur la personnalité de l'ancien directeur de Greenpeace, Steven Guilbeault, qui a quitté ses fonctions pour devenir porte-parole d'Équiterre. Il était lui-même un des fondateurs d'Équiterre. Reste à savoir cependant si cette alliance perdurera car Greenpeace fait partie de la coalition Québec-Kyoto.
Une explosion
La semaine dernière, la lettre conjointe de Steven Guilbeault et du président de la FTQ, Henri Massé, en faveur d'un éventuel plan de substitution du mazout au gaz, n'a pas simplement mis le feu aux poudres mais a provoqué une explosion.
Le porte-parole de Québec-Kyoto, Daniel Breton, réagissait en faisant parvenir un courriel aux membres de la coalition, dans lequel il interprétait ainsi cette prise de position: «Le gouvernement est en train de mettre la table avec la complicité de Guilbeault et d'Équiterre pour que Rabaska passe mieux quand le gouvernement annoncera son plan de conversion attaché au "Oui" à Rabaska.» Suivait une série d'expressions que la décence interdit de rapporter.
Daniel Breton, épuisé physiquement et financièrement pour excès de bénévolat, a dû être hospitalisé la semaine dernière. Il s'est excusé publiquement auprès de Steven Guilbeault. Mais l'affaire ayant pris des proportions, l'autre porte-parole de Québec-Kyoto, André Bélisle, président de l'Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA), a distribué une mise au point en fin de semaine.
Il reconnaît sans ambages que la déclaration de Daniel Breton constitue sans aucun doute «une erreur», «un manque de patience et aussi de respect» dans un débat qui aurait dû demeurer «civilisé».
Du côté d'Équiterre
Mais pour «comprendre le contexte» de l'esclandre, il rappelle qu'au moment ou la coalition Québec-Kyoto mobilisait le Québec contre le Suroît en vue d'une manifestation qui allait devenir la plus importante de la courte histoire du mouvement environnemental québécois, Équiterre distribuait «accidentellement» un courriel disant que l'organisme ne participerait pas à une marche qui s'en allait vers un échec certain. Ce fut pourtant un succès sans précédent.
Lorsque Québec-Kyoto a voulu organiser une autre marche le 22 septembre dernier pour faire suite à celle d'avril qui a attiré plus de 20 000 personnes autour des objectifs de Kyoto, Équiterre a fait savoir dans le milieu que le groupe ne serait pas là car, écrivait Sidney Ribaux, son coordonnateur, «ce dossier est très complexe et nous préférons bien l'analyser avant de descendre dans la rue» et les études qui permettraient de trancher ne sont pas disponibles. Cela a été perçu du côté de Québec-Kyoto comme un coup dans les jarrets. Et la manifestation n'a pas eu le succès escomptés.
Mais Laure Waridel, l'autre figure médiatique qui a longtemps incarné l'image d'Équiterre, dont elle est un des cofondateurs, s'est présentée à cette manifestation pour bien montrer qu'elle était du côté des citoyens opposés à Rabaska. Elle a d'ailleurs fait parvenir un message à Daniel Breton et à André Bélisle pour leur dire: «vous êtes tous les deux irremplaçables».
Des citoyens de Lévis ont d'ailleurs vivement réagi eux aussi à l'ouverture pro-Rabaska de la lettre Guilbeault-Massé. Yves Saint-Laurent, porte-parole de Rabat-Joie, après avoir cité plusieurs passages des mémoires de Greenpeace et d'Équiterre contre le projet Cacouna, contre les ports méthaniers et l'augmentation prévisibles des émissions de GES attribuables au gaz naturel, demande au porte-parole d'Équiterre pourquoi, aujourd'hui, il s'assoit avec les «politico-économio-syndico-supporteurs de Rabaska» et lui demande d'expliquer ce qui s'est passé depuis la prise de position contre Cacouna et les dangers des ports méthaniers, ce qui ne s'applique plus à Rabaska.