Couche d'ozone - Un protocole «vert billets»
L'industrie chimique aurait procédé à un détournement de protocole en vendant les nouveaux HFC comme un produit de remplacement sécuritaire des HCFC
La semaine dernière, les constructeurs automobiles allemands ont décidé, à partir de 2011, de ne plus utiliser dans les climatiseurs de leurs voitures les HFC-134a, des molécules censées remplacer les HCFC que l'industrie chimique avait mis au point pour remplacer les vieux CFC destructeurs de la couche d'ozone.Les constructeurs allemands vont plutôt faire fonctionner les climatiseurs d'auto en y recyclant du dioxyde de carbone (CO2) qui, autrement, s'ajouterait aux gaz à effet de serre.
En mars 2006, plusieurs chaînes de magasins d'alimentation en Grande-Bretagne avaient annoncé leur intention de bannir les HFC de leurs réfrigérateurs commerciaux pour les faire fonctionner avec ce bon vieux gaz carbonique, fort apprécié... dans les bouteilles de champagne. Les sociétés ASDA, Marks & Spencer, Sainsbury's, Summerfield, Tesco et Waitrose avaient toutes fait valoir que la contribution des HFC au réchauffement de la planète était tout simplement inacceptable et qu'elles n'utiliseraient plus d'équipements qui en contiendraient. Les différents membres de la famille des HFC ont un pouvoir de rétention de la chaleur dans l'atmosphère de 140 fois (HFC-152a) à 11 700 fois (HFC-23) supérieur à celui des molécules de CO2.
Dans le cadre de la Refrigerants Naturally Initiative, lancée en 2004 par Coca-Cola, Unilever et McDonald's en collaboration avec le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE) et Greenpeace, ces sociétés ont décidé de remplacer progressivement leurs appareils fonctionnant aux HFC dans leurs entrepôts. Pepsi s'est récemment ajoutée à cette liste avec Carlsberg et Ikea.
Il y a deux jours, Coca-Cola annonçait que tous ses appareils aux Jeux olympiques de Pékin, en 2008, seront dotés de mousses isolantes sans HFC et qu'on ne retrouvera aucune de ces molécules dans les échangeurs de chaleur qui produisent du froid pour les boissons et autres produits. Ces appareils utiliseront plutôt un système de gestion de l'énergie avec des gaz réfrigérants moins dommageables à la fois pour la couche d'ozone et pour le climat, qui consommeront par ailleurs 35 % moins d'énergie.
Insatisfaction
Janos Maté, porte-parole de Greenpeace International dans le dossier de la couche d'ozone, ne se réjouit toutefois pas quand il évoque ces percées des réfrigérants alternatifs, et pas davantage quand il fait mention du succès remporté par Greenpeace, qui a financé plusieurs études à l'origine de l'utilisation d'hydrocarbures, notamment le butane, en remplacement des HCFC et des HFC dans quelque 200 millions de réfrigérateurs domestiques, actuellement utilisés en Europe et en Asie et dont le rendement énergétique surpasse celui des molécules vantées par l'industrie chimique. En Amérique du Nord, on ne vend pas ces réfrigérateurs sous prétexte de risque d'incendie, un mythe démoli par leur usage sécuritaire en Europe et en Asie depuis des années.
La moutarde monte au nez de Janos Maté quand il évoque ces percées parce qu'il y voit la preuve que le protocole de Montréal «a fait fausse route» en fournissant aux grandes multinationales de la chimie deux marchés successifs de produits de remplacement des CFC, eux-mêmes toujours dommageables pour la couche d'ozone et le climat.
«En réalité», explique l'auteur du bilan adressé hier par Greenpeace aux 750 délégués de la 19e réunion des parties du protocole de Montréal, «l'industrie chimique a procédé à un détournement de protocole en vendant les HCFC comme la seule solution de rechange et les nouveaux HFC comme un produit de remplacement sécuritaire des HCFC, dont la conférence propose l'élimination plus rapide en raison de leur impact sur le climat. L'industrie a ainsi pu produire et vendre trois générations de produits avec des effets pervers très puissants sur le climat, au point où il faut maintenant devancer l'arrêt de leur production. Mais personne, curieusement, ne parle de récupérer tous ces produits à la fois nocifs pour la couche d'ozone et le climat alors que les quantités existantes dans les appareils et les mousses isolantes vont éventuellement avoir des impacts majeurs sur le climat et la couche d'ozone.»
Les HFC (hydrofluorocarbones) et les PFC (perfluorocarbones) ne sont pas réglementés par le protocole de Montréal parce qu'ils n'ont pas d'effet sur la couche d'ozone.
Toutefois, leur pouvoir de captage de la chaleur solaire est tel qu'ils figurent sur la liste des six gaz à effet de serre dont le protocole de Kyoto prévoit la réduction prioritaire, mais seulement dans les pays développés pour le moment.
Dans les pays en développement, leur usage augmente doucement parce qu'aucune des deux conventions internationales ne les interdit. Or, dans le cas des PFC, a expliqué Tom Morehouse, spécialiste de la CNA Corporation aux États-Unis, il s'agit de gaz à effet de serre quasi indestructibles. Leur demi-vie utile peut se situer entre 10 000 et 50 000 ans, soit presque aussi longtemps que des déchets nucléaires...
Greenpeace est particulièrement inquiet de la «banque» mondiale de produits néfastes à la fois pour la couche d'ozone et pour le climat, qui dorment dans les appareils et les mousses isolantes, d'autant plus, explique Janos Maté, que le protocole de Montréal ne prévoit aucune politique de récupération de ces produits avec des objectifs et des échéanciers précis. Selon la compilation réalisée par Greenpeace à partir des rapports du secrétariat du protocole, la totalité des CFC et des HCFC «en banque» représente l'équivalent de 15,6 milliards de tonnes de CO2, soit l'équivalent de ce que la proposition d'arrêt anticipé de la production des HCFC, actuellement négociée à Montréal, devait éviter.
Le plus populaire des HFC, le HFC-134a, que des sociétés commerciales nord-américaines commencent à utiliser, même dans des bombes aérosol de désodorisants, comme à l'époque des CFC, représente l'équivalent de 494 millions de tonnes de gaz à effet de serre. C'est l'équivalent de ce que rejetterait un parc automobile de 99 millions de voitures.
«En lançant sa troisième génération de produits, les HFC, l'industrie chimique a plaidé que leur confinement technique serait à toute épreuve, ajoute Janos Maté. Or une étude réalisée en 2004 par une société de recherche britannique a clairement démontré que le taux de fuites était tout simplement le même que dans le cas des produits précédents. En d'autres mots, le confinement des HFC est un échec.»
Trois mesures sont essentielles à court terme, ajoute le porte-parole de Greenpeace. D'abord, le protocole de Montréal doit se synchroniser avec celui de Kyoto afin d'établir rapidement un plafond d'émissions pour les HFC. Deuxièmement, les gouvernements, à l'instar de l'Europe, doivent instaurer des normes pour interdire l'utilisation de ces produits en raison de leur énorme contribution au réchauffement du climat. En priorité, le Fonds multilatéral du protocole de Montréal doit cesser tout financement de projets basés sur l'utilisation de HFC dans les pays en développement, car il s'agit d'un des six gaz à effet de serre ciblés par le protocole de Kyoto.
Plus concrètement, conclut le porte-parole écologiste, le protocole de Montréal doit stimuler par tous les moyens possibles un virage vers des produits réfrigérants ou moussants alternatifs, sans impact à la fois sur la couche d'ozone et sur le climat. Il s'agit principalement de l'ammoniac, des hydrocarbures (butane, propane, etc.) et du CO2, qu'on pourrait récupérer et recycler dans les appareils au lieu de le laisser filer à l'atmosphère aux dépens du climat.