Meunerie - Des pains tout québécois

Les pains qui sortent des fours de Première Moisson sont désormais faits de farine de blé exclusivement québécoise. Une initiative tant écologique que rentable qui ravit tour à tour les agriculteurs, les meuniers, les boulangers et les consommateurs.
Depuis sa création en 1992, Première Moisson a profondément modifié le visage de la culture boulangère au Québec en misant sur des produits sains et savoureux, loin de ce qui se fait dans les grandes minoteries. Fidèle à sa mission, l'entreprise s'est donné un défi téméraire il y a trois ans: devenir la première boulangerie qui utilise, pour la confection de tous ses pains, de la farine de blé exclusivement québécoise, sans intrant chimique. C'est chose faite depuis presque deux mois.«Nous voulions contrôler la qualité de nos produits de la terre à la table, tout en ayant pour objectif de vendre le meilleur pain de Montréal», déclare la présidente et fondatrice de Première Moisson, Liliane Colpron. La chef d'entreprise souhaitait mettre de l'avant la richesse de l'agriculture de proximité et, conséquemment, ne plus dépendre des terres de l'Ouest du Canada. «Ce sont des milliers de kilomètres de transport inutiles et polluants», note-t-elle, soulignant du même souffle la sensibilité écologique qui la guide dans toutes ses décisions.
Les agriculteurs sont ravis
Le rêve est devenu réalité grâce à la naissance d'une nouvelle structure corporative qui réunit le groupe d'agriculteurs Agrifusion, la Meunerie Milanaise, Première Moisson et les Moulins de Soulanges, là où sont produites les farines de blé québécoises. Situé à Saint-Polycarpe, près de Vaudreuil, ce moulin à cylindre a été inauguré en février dernier et fonctionne aujourd'hui à plein régime.
Ces partenaires disent avoir à coeur le respect de la terre, des artisans et des consommateurs. La naissance de cette association unique en Amérique du Nord fait dire à Rudy Laixhay, agent de développement pour la Meunerie Milanaise et les Moulins de Soulanges, que «c'est la première fois dans l'histoire agronomique qu'un groupe s'intéresse à ce qui se passe dans les champs». C'est à lui et à Robert Beauchemin, président-directeur général de la Meunerie Milanaise, que l'on doit cette heureuse initiative.
«Il faut redonner confiance aux agriculteurs québécois qui, depuis de nombreuses années, ne cultivent presque plus le blé», affirme M. Laixhay. La concurrence de l'Ouest est forte. Les terres y sont beaucoup moins chères que celles qui se situent dans la région de Montréal. Les agriculteurs québécois se sont alors rabattus sur la culture du soya et du maïs.
Le cours du blé à la hausse
Mais la tendance pourrait bien être sur le point de se renverser. Les récoltes dans les Prairies ont été mauvaises cette année, à un point tel que les agriculteurs canadiens prévoient une baisse de production de 20 %. Depuis les 26 dernières années, les stocks mondiaux de blé n'ont jamais été aussi pauvres. Le cours du blé a ainsi atteint des sommets historiques la semaine dernière, atteignant 9,1125 $US le boisseau. Ce bond de 81 % est largement profitable aux agriculteurs d'ici dont les moissons ont été abondantes. Les 85 producteurs liés à Première Moisson et à ses partenaires sont payés au prix du marché, selon les termes des contrats de production.
Une clause stipule également que toutes les récoltes seront achetées, peu importe la qualité de la saison. Si le blé est endommagé par le mauvais temps, il servira alors à nourrir les animaux. «Cela a rassuré les cultivateurs qui étaient un peu craintifs au départ», dit Liliane Colpron, qui croit que la hausse du prix du blé n'est que temporaire. Les producteurs de blé ne seront certes pas laissés en plan par les partenaires du groupe, puisque ceux-ci ont estimé leurs besoins d'approvisionnement à 50 000 tonnes de blé d'ici cinq ans.
Dépendante à l'avenir d'un plus petit marché, Première Moisson a tenu a assuré ses arrières: plus de 350 champs répartis à travers la province approvisionnent les Moulins de Soulanges. Cela s'imposait avec les projets d'expansion de l'entreprise à Laval et à Québec. «Finalement, tout le monde est gagnant», s'exclame Mme Colpron.
Une nouvelle certification
Première Moisson a tenu à prouver le sérieux de son projet en demandant une nouvelle certification au ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation. En voie d'être obtenu, le sceau Agrinature garantira une production sans intrant chimique. «Tous les agriculteurs qui veulent collaborer avec nous doivent cultiver le blé au fumier et ne pas l'arroser d'insecticides et de pesticides. Qui voudrait de cela dans son assiette?», demande Mme Colpron.
Agrinature ne signifie pas cependant que le blé est biologique. Les cultivateurs qui adhèrent à la certification biologique doivent laisser leurs terres reposer pendant trois ans avant d'ensemencer, alors que la production sous le label Agrinature peut se faire dès cette année. «L'important, pour nous, était l'élimination des intrants chimiques», fait remarquer Liliane Colpron. La farine Agrinature est par ailleurs moins onéreuse que la farine biologique. Selon les prix de la récolte de 2006, la première se vend 240 $CAN la tonne, et la seconde, 410 $CAN la tonne, une différence de 75 %.
Pain goûteux et nutritif
Le goût et l'odeur des pains qui sortent des fours de Première Moisson donnent désormais «l'impression de se retrouver dans un champ de blé du Québec», selon Rudy Laixhay. De nombreux essais de panification qui expérimentaient les différentes combinaisons de blés ont été nécessaires afin d'arriver à ce résultat.
«Nous essayons de toujours mieux répondre à la demande des Québécois, qui sont de fins gourmets, en leur offrant un pain bien alvéolé, à la mie humide et à la croûte fine et croustillante», observe Mme Colpron, qui s'est toujours fait un devoir de bannir les agents de blanchiment, de vieillissement et de conservation de sa production. Elle remarque d'ailleurs que les consommateurs ont le palais si bien aiguisé qu'ils se sont déjà aperçus que le pain de Première Moisson n'est plus le même depuis quelques semaines. «Ils le trouvent meilleur!», dit-elle en riant.
***
Collaboratrice du Devoir