Impacts économiques de Kyoto - Ottawa se veut rassurant

Ottawa - Répliquant à ses opposants, le gouvernement fédéral est sorti en force hier pour faire connaître ses prévisions quant à l'impact «le plus probable» de la mise en oeuvre du protocole de Kyoto sur l'économie canadienne. Celui-ci sera «modeste», assure-t-on. Mais les assurances d'Ottawa sont à prendre avec un grain de sel: elles sont basées sur un respect très partiel de nos obligations de réduction de gaz à effet de serre (GES) contenues dans le protocole.

Les hauts fonctionnaires fédéraux ont tenté de voir quels seraient les impacts de la ratification de l'accord de Kyoto sur l'emploi, la croissance économique et le revenu disponible des ménages d'ici 2010, date des premiers échéanciers du protocole. Ainsi, le produit intérieur brut (PIB) croîtrait légèrement moins que si rien n'est fait pour réduire les GES: 17,6 % en huit ans au lieu de 18 %. Le revenu disponible par ménage serait inchangé, à 68 000 $. La croissance de l'emploi serait amoindrie: entre 61 000 et 244 000 emplois en moins seraient créés (il s'en créerait quand même encore plus d'un million d'ici 2010).

Les secteurs du ciment, du pétrole raffiné et de l'électricité seraient les plus touchés, avec des croissances de PIB réduites de 2,4 %, 3,1 % et 2,8 % respectivement par rapport à un scénario de statu quo. L'Ontario serait la province qui s'en tirerait le mieux, suivie de près par le Québec, ce qui s'explique, disent les fonctionnaires, par le fait que ces deux provinces seraient susceptibles de fournir les technologies nécessaires pour améliorer les performances environnementales des entreprises. La Colombie-Britannique serait la plus touchée, suivie de près par l'Alberta et la Saskatchewan.

Somme toute, les impacts sur le PIB varieraient de +0,2 % à -0,5 % selon la province. Une preuve, disaient les fonctionnaires hier, que, quoi qu'il arrive, les impacts seront largement répartis entre les régions et les industries.

«Notre adjectif [pour qualifier les impacts], j'imagine, serait "modestes"», a dit un haut fonctionnaire.

Il faut dire que le gouvernement fédéral se bat pour gagner la guerre de l'opinion publique sur le protocole de Kyoto. Les opposants à la ratification brandissent des chiffres imposants sur les pertes d'emploi (450 000) et le ralentissement économique (de 1,5 à 2,5 % du PIB ou de 16 à 30 milliards de dollars). L'Alberta, qui se veut la championne du camp des opposants, a lancé une vaste campagne publicitaire qui semble porter fruits. En quatre mois, l'appui qu'accorde la population albertaine au protocole de Kyoto est passé de 72 % à 27 %, selon un sondage national Ipsos-Reid publié en début de semaine. (L'échantillon albertain étant réduit, la marge d'erreur est de plus ou moins 10 %.)

Les chiffres du gouvernement fédéral sont toutefois loin de refléter la réalité. Le scénario fédéral s'appuie sur l'objectif de réduire de 170 mégatonnes les émissions de GES du Canada par rapport au niveau où ils seraient en 2012 si rien n'est fait. Or, selon le protocole de Kyoto, la réduction devrait plutôt être de 240 mégatonnes (pour atteindre un niveau de GES de 6 % en dessous du niveau de 1990). La différence de 70 mégatonnes est gigantesque: 29 % de l'engagement canadien. Le document fédéral émis hier après-midi indique qu'«aucune hypothèse [n'est soumise] quant à la façon d'éliminer le solde de 70 MT». En fait, il est clair que le Canada tentera d'obtenir sur la scène internationale des crédits pour ses exportations d'énergie dite «propre» à d'autres pays, une proposition qui a toujours été rejetée par l'Union européenne notamment. Le Canada évalue justement à 70 mégatonnes de GES les émissions que ses exportations permettraient de réduire.

S'il n'obtient pas ces crédits, ce que plusieurs analystes prévoient, alors les fonctionnaires assurent que la différence ne serait pas complètement compensée par l'achat de permis de pollution, ce qui pourrait coûter jusqu'à 3,5 milliards dans le pire des scénarios (advenant un coût de 50 $ par permis d'émettre une tonne de CO2). Des réductions réelles de GES devraient être effectuées en sol canadien, avec des conséquences accrues sur l'économie et le marché de l'emploi.

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