Dérivation de la rivière Manouane - Québec autorise un projet que le BAPE a déjà jugé «inacceptable»

L'approbation hier du détournement de la Manouane au Lac-Saint-Jean vers la Côte-Nord, malgré le verdict du BAPE il y a un an, démontre bien qu'ultimement, au Québec, c'est le gouvernement qui tire un bénéfice d'un projet, qui décide de son sort.

Le conseil des ministres du Québec a décidé d'autoriser la dérivation de la rivière Manouane, un affluent de la Péribonka située dans le bassin du lac Saint-Jean, vers les turbines de Bersimis, sur la Côte-Nord, même si la commission indépendante du Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) a qualifié ce projet d'«inacceptable» dans son rapport d'octobre 2001.

Il aura fallu un an au ministère de l'Environnement du Québec (MENV) pour contourner le verdict de la commission selon lequel «le projet ne peut justifier la mise en péril d'une rivière et de ses usages: elle [la commission] préconise donc un projet de moindre impact environnemental». La commission estimait qu'il faudrait laisser passer minimalement neuf mètres cubes/seconde de débit réservé pour maintenir la vie aquatique et les usages du cours d'eau, un des plus beaux parcours canotables du Québec.

Dans ses recommandations au conseil des ministres, le ministre de l'Environnement et de l'Eau, André Boisclair, a fait sienne intégralement la proposition d'Hydro-Québec, dans son étude d'impact, de limiter à trois mètres/ seconde le «débit réservé» pour ne pas compromettre la rentabilité de son projet. Le ministère a finalement jugé que ce «projet était acceptable» avec les maigres trois mètres cubes/seconde proposés par Hydro-Québec. Le MENV n'a pas jugé bon d'arracher la moindre concession supplémentaire au promoteur.

Il faut dire que le gouvernement provincial, actionnaire en titre d'Hydro-Québec, prévoit que le détournement de la Manouane, conjugué à ceux des rivières Portneuf et Sault-aux-Cochons, vers les turbines de Bersimis va rapporter beaucoup d'argent à sa première société d'État. En effet, le triple détournement se situe dans la gamme des projets dont les coûts de production se situaient sous la barre des 3 ¢ du kilowattheure. En comparaison, les derniers appels d'offres pour les petites centrales privées ainsi que le coût du kWh à l'éventuelle centrale du Suroît se situent au double, soit autour de 6 ¢ du kWh. Au Québec, quand une autorité indépendante comme le BAPE se prononce sur un projet parrainé ou profitant au gouvernement, c'est quand même ce dernier qui prend la décision finale, contrairement à la logique des «Public Utilities» américains qui sont généralement décisionnels dans ces situations.

Le ministère de l'Environnement estime que la transformation de la Manouane en une série de petits lacs contrôlés par des seuils naturels ou construits, comme au kilomètre 83 et à la sortie du lac Duhamel, va suffire à protéger les espèces vivantes qu'on y trouve. Ces seuils de même que «le balisage du chenal de navigation des rivières Manouane et Péribonka permettront d'atténuer les impacts de la dérivation sur les activités de canotage» pour ceux qui voudront encore aller racler le fond de leurs canots dans ce cours d'eau diminué.

Le gouvernement fédéral n'a pas encore approuvé ce projet de dérivation, mais la chose ne devrait pas faire problème puisqu'il accepte désormais, comme dans le dossier de la centrale de Toulnustuc, malgré sa politique nationale sur les débits réservés, de faire sienne la politique du MENV de lacustration (transformation en lacs) des rivières au lieu de s'en tenir aux recommandations de commissions indépendantes comme celles du BAPE.

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