Négociations à l'OMC sur l'aide alimentaire - Les États-Unis tiennent à leur politique controversée

Un Haïtien porte sur ses épaules des sacs de riz issus de l’aide alimentaire.
Photo: Agence France-Presse (photo) Un Haïtien porte sur ses épaules des sacs de riz issus de l’aide alimentaire.

Les États-Unis se sont élevés, hier, contre la volonté de l'Organisation mondiale du commerce de se mêler des politiques d'aide alimentaire et de remplacer les dons en nourriture par de l'aide financière.

«L'OMC ne devrait pas discuter de la réforme de l'aide alimentaire. L'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture et le Programme alimentaire mondial sont les experts, a déclaré dans un communiqué Tony Hall, ambassadeur américain auprès de ces deux agences. Les discussions sur l'amélioration de l'aide alimentaire devraient se dérouler à Rome [où ces deux organismes de l'ONU siègent], non à Genève.»

«Il y a 850 millions de personnes qui ont faim et nous ne parvenons à aider que 100 millions d'entre elles, a-t-il poursuivi. Nous devons augmenter et non pas réduire le volume de l'aide alimentaire dans le monde. [...] Nous avons une obligation morale envers les populations du Darfour, de Banda Aceh et d'Éthiopie.»

L'aide alimentaire ne fait, pour le moment, l'objet d'aucune forme d'encadrement international. De nombreux pays, dont ceux de l'Union européenne ou encore le Canada, ont demandé que l'on se penche sur le problème à l'OMC dans le cadre de l'actuel cycle de négociations de Doha. Paradoxalement, plusieurs organisations internationales de lutte contre la pauvreté ont demandé, elles aussi, qu'une certaine discipline soit imposée.

«On n'a rien contre le fait d'apporter de la nourriture à des populations en situation de crise alimentaire ou de désastre humanitaire, explique le porte-parole de l'une de ces organisations, Mark Fried, d'Oxfam Canada. Le problème est que cette aide alimentaire ne va pas toujours à des pays qui en ont vraiment besoin et qu'elle n'est souvent qu'une forme déguisée de dumping. Il ne fait pas de doute que l'aide alimentaire est un enjeu commercial.»

Aide ou dumping?

Les États-Unis sont de loin ceux qui donnent le plus à ce chapitre, rapporte Oxfam. La quantité de céréale ou de lait en poudre offerte chaque année y dépend toutefois généralement moins des besoins des pays pauvres que de l'importance des surplus de production dont les agriculteurs américains veulent se débarrasser. Cela a pour effet de déprimer les prix mondiaux.

En vertu de la loi américaine, cette aide doit être envoyée aux peuples qui meurent de faim, mais aussi aux pays où les États-Unis ont des chances de développer de nouveaux marchés d'exportation. La nourriture doit généralement être transportée par des bateaux battant bannière américaine, au point où l'on évalue que le tiers du coût des programmes d'aide alimentaire américains va dans les poches de ces compagnies de transport.

Arrivée sur place, toute cette nourriture est souvent vendue à prix réduit sur le marché intérieur par les gouvernements locaux afin de pouvoir consacrer les recettes à des besoins plus urgents. Cela ne va pas sans nuire considérablement aux producteurs locaux et aux autres pays qui y exportent les mêmes produits. «On a vu, au début des années 2000, le riz américain déversé en Jamaïque, sous forme d'aide alimentaire, purement et simplement sortir du marché les agriculteurs guyanais qui y vendaient une bonne partie de leur production, raconte Mark Fried. En voulant aider des pauvres à un endroit, on en a fait d'autres ailleurs.»

Il serait beaucoup plus efficace, selon lui, si l'aide en question, plutôt que d'être à 90 % ou à 100 % en nature, était en espèces sonnantes et trébuchantes. En plus de nourrir tout aussi efficacement les populations affamées, elle encouragerait les producteurs locaux et favoriserait donc une plus grande autosuffisance alimentaire.

L'aide canadienne n'est pas exempte de pareilles dérives, note Mark Fried. Elle est toutefois, selon lui, un peu mieux encadrée et moins perturbatrice, parce que nettement moins importante, que l'aide américaine. «Les États-Unis sont aujourd'hui pratiquement les seuls à encore donner ce genre d'aide alimentaire, dit le porte-parole d'Oxfam Canada. Cela explique pourquoi les agences des Nations unies hésitent tellement à en condamner les pratiques.»

Avec l'Agence France-Presse

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