Russie: la pratique du pot-de-vin se porte mieux que jamais

Moscou — Homme d'affaires corrompant un fonctionnaire pour obtenir un marché ou étudiant soudoyant un médecin militaire pour échapper à l'armée, le pot-de-vin se porte de mieux en mieux en Russie, selon une étude publiée hier et montrant l'inefficacité de la lutte anticorruption du Kremlin.

Les Russes évaluent à près de 320 milliards $US les bakchichs qui auront été versés en 2005 aux fonctionnaires russes, soit près de dix fois plus qu'en 2001, selon une grande enquête de la fondation Indem, institut de recherches russe respecté, réalisée auprès de 4000 Russes, dont 1000 hommes d'affaires.

La hausse touche principalement les entrepreneurs, qui auront payé en 2005 près de dix fois plus de pots-de-vin que quatre ans auparavant (316 milliards contre 33,5 en 2001), montre le sondage.

Un marché prometteur, avec des bakchichs de plus en plus faramineux, de 135 000 $ en moyenne par entrepreneur en 2005, nécessaires pour «faire sauter des obstacles administratifs, s'assurer un marché aux dépens de concurrents ou encore obtenir une protection des fonctionnaires», a détaillé le directeur d'Indem, Guéorgui Satarov, ex-conseiller du président Boris Eltsine, critiquant l'inefficacité de la lutte anticorruption menée par le Kremlin.

Mal endémique

Le président Vladimir Poutine, qui avait promis dès son élection en 2000 de lutter contre la corruption en instaurant une «dictature de la loi», dénonce régulièrement ce mal endémique en Russie, comme lors de son adresse à la Nation en avril 2005, où il avait fustigé «une bureaucratie inefficace et corrompue» qui «comprend le service public comme une espèce d'affaire commerciale».

Et les reportages sur le démantèlement d'un réseau de policiers corrompus ou l'arrestation de professeurs vendant des diplômes sont fréquents à la télévision russe.

Mais dans les faits, la lutte anticorruption, annoncée en fanfare, reste stérile, dénoncent analystes et responsables d'ONG.

«Ce qui est important dans l'étude d'Indem, ce n'est pas tellement la grosse somme finale [de près de 320 milliards] mais le fait qu'elle mette en évidence une dynamique depuis 2001. En quatre ans, alors que Poutine a annoncé une grande réforme administrative, un grand assainissement notamment du fisc, on se demande où passe tout cet argent», s'interroge Elena Panfilova, directrice de l'antenne moscovite de l'ONG Transparency International.

Dans son rapport 2004, Transparency International a classé la Russie à la 90e place pour l'indice de corruption (le 1er rang étant attribué au pays le moins corrompu), au même niveau que le Mozambique.

«Dans les faits, la bureaucratie est de plus en plus puissante. Et plus elle augmente, plus les pots-de-vin grimpent», souligne l'analyste Alexandre Golts.

«Une réforme de l'armée est censée se mettre en place. Et l'on voit dans cette étude que les gens donnent de plus en plus de pots-de-vin pour que leurs enfants échappent au service militaire», relève Elena Panfilova.

Alors qu'en 2001, les Russes interrogés disaient ne payer que 12,7 millions de pots-de-vin pour échapper au service militaire, en 2005 ils auront payé plus de 353 millions.

Une hausse «faramineuse» que le président d'Indem analyse par la peur d'être envoyé en Tchétchénie (plus forte aujourd'hui qu'en 2001 où l'on pensait que la guerre ne durerait pas) et l'absence d'amélioration des conditions de vie dans l'armée.

Le marché de «la corruption de tous les jours», c'est-à-dire les pots-de-vin versés aux médecins en cas d'hospitalisation, aux enseignants pour entrer à l'université ou aux policiers de la route, reste relativement stable, à un peu plus de 3 milliards sur l'année contre 2,8 milliards en 2001.

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