Toyota, victime de son succès

L'annonce par Toyota, le 30 juin dernier, de l'implantation d'une nouvelle usine d'assemblage à Woodstock, en Ontario, est probablement plus significative pour l'industrie automobile nord-américaine qu'il n'y paraît aux premiers abords. C'est une autre preuve, s'il en fallait une, de l'important glissement de plaques tectoniques qui secoue ce secteur avec l'effondrement trop rapide des parts de marché des constructeurs américains, accablés de dettes, qui entraîne un déficit de capacité manufacturière chez leurs concurrents nippons.

Même si les ventes de General Motors ont atteint un niveau record en juin, tant aux États-Unis (+47 % par rapport à la même période l'an dernier) qu'au Canada (+19 %), il s'agit probablement de l'exception qui confirme la règle. Cette augmentation spectaculaire est en effet due à un programme offrant plusieurs milliers de dollars de rabais par véhicule, confirmant ainsi que les constructeurs américains n'écoulent leur marchandise que grâce à de tels stratagèmes, alors que les Japonais peuvent maintenir leurs prix et leurs marges de profit.

Ainsi, pendant que les constructeurs américains gèrent leur décroissance, la concurrence japonaise, Toyota en tête, se retrouve avec un problème d'image: les constructeurs nippons risquent maintenant d'être perçus comme les bourreaux de l'industrie automobile américaine. D'où l'importance de donner l'impression de créer des emplois sur notre continent et de s'afficher comme un citoyen corporatif exemplaire, en faisant la promotion des véhicules écologiques par exemple.

Tout cela pour éviter qu'un éventuel mouvement populaire, provoqué par les mises à pied massives à venir chez leurs concurrents américains, ne vienne réveiller de vieux démons protectionnistes. Hiroshi Okuda, le président du conseil de Toyota, affirmait d'ailleurs à ce sujet en avril dernier: «Je suis préoccupé par la situation. L'automobile est le symbole de l'industrie américaine, et si les choses tournent mal il y aura des conséquences. En tant que constructeur d'automobiles, nous nous devons de réfléchir aux contre-mesures à adopter.»

Double discours

Par les temps qui courent, Toyota fait flèche de tout bois et son service de relations publiques doit combattre sur tous les fronts, au risque de sombrer dans la confusion et le double discours. Pendant que cette marque fait habilement la promotion de sa Prius et de sa gamme de voitures à propulsion hybride, on ne peut s'empêcher de constater que la majeure partie de l'augmentation des ventes de Toyota est due à ses grosses camionnettes et ses utilitaires.

Toyota travaille d'ailleurs à doubler la capacité de son usine de Huntsville, en Alabama, qui produit de gros moteurs V8 destinés à ses plus gros utilitaires. Ces moteurs propulseront aussi la prochaine génération de camionnettes Tundra qui sera construite dans une toute nouvelle usine à San Antonio, au Texas.

Malgré le fait que les dirigeants de Toyota affichent clairement leur ambition d'accéder au premier rang mondial, devant GM — ce qui devrait se concrétiser avant 2010 si la tendance se maintient —, ils doivent parfois pondérer leur enthousiasme.

Tentant, sans doute, de faire preuve de compassion pour ses rivaux en difficulté, Hiroshi Okuda déclarait, en juin dernier, dans les pages du Asahi Shimbun, qu'il souhaitait augmenter les prix de ses produits vendus aux Étatas-Unis par une marge de 2 à 3 %, pour donner un peu répit à ses concurrents. Cette annonce fut plutôt mal reçue par les médias américains, qui y ont relevé de l'arrogance. Ils n'ont pas manqué de noter, en plus, que les ventes de Toyota se maintiendraient probablement, malgré la hausse de prix, et que cette manoeuvre lui permettrait de faire encore plus de profit sur ses véhicules.

Notons en terminant que, pendant que les constructeurs américains cherchent désespérément une solution au gouffre financier de leurs caisses de retraite, Toyota est tranquillement assise sur un trésor de guerre de plusieurs dizaines de milliards de dollars.

Collaborateur du Devoir

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