La francisation à l’usine pour des travailleurs étrangers temporaires

Comme tous les autres jours ouvrables, Marcelle Abdelmessih passe son début d’après-midi à enseigner le français à Luis Majoral, à Gustavo Pérez et à Oscar Moreno. Devant de grandes fenêtres vitrées donnant sur une route de campagne, elle leur fait faire un exercice. Ils doivent compléter des phrases utiles chez le médecin. Ils choisissent adéquatement les mots « fièvre » et « sirop ».

« Vous savez ce que c’est, du sirop ? » demande l’enseignante.

« Du sirop d’érable ? » dit en plaisantant l’un des élèves. « C’est bien trop sucré ! »

Nous sommes dans un vaste local de Plastiques GPR, à Saint-Félix-de-Valois, dans Lanaudière. Elle fait partie des entreprises qui font des pieds et des mains pour favoriser l’intégration de leurs travailleurs étrangers temporaires à la société québécoise, en particulier par l’apprentissage du français entre leurs propres murs. Les trois monteurs-régleurs mexicains sont payés deux heures par jour pour améliorer graduellement leur maîtrise de la langue locale. Ils peuvent ensuite descendre au rez-de-chaussée pour monter, régler et programmer des machines qui moulent divers objets en plastique.

« En quelques mois, j’ai déjà vu une progression incroyable », affirme Mme Abdelmessih, qui leur a fait part de sa propre expérience migratoire en provenance d’Égypte. « C’est mieux que les cours soient donnés ici, car ils gagnent le temps de déplacement. »

« Quand nous finissons le cours, nous retournons immédiatement sur le plancher et nous utilisons ces nouveaux mots », rapporte M. Moreno dans un français hésitant mais compréhensible. Le Devoir a pu s’entretenir uniquement en français avec les trois travailleurs.

La francisation en entreprise est de plus en plus prisée. Selon les données, du ministère de l’Éducation, le nombre d’entreprises ayant offert la francisation à leurs travailleurs par le biais d’organismes scolaires est passé de 291 en 2019 à 477 en 2022. Le ministère précise que « ce portrait est toutefois partiel puisque ce ne sont pas tous les organismes qui complètent le questionnaire ». Du côté du ministère de l’Emploi, on indique que le nombre d’ententes pour des formations en entreprise par le biais de leurs programmes est passé de 105 en 2018 à 1088 en 2023.

Avec la pénurie de main-d’oeuvre, Plastiques GPR ne réussissait pas à trouver des candidats adéquats pour ce métier spécialisé. Comme un nombre grandissant d’entreprises, ses dirigeants ont fait appel au Programme de travailleurs étrangers temporaires pour des postes qu’ils souhaitent pourvoir de façon permanente.

« On voyait venir la barrière de la langue. On savait que ça serait notre plus gros frein. Ils doivent collaborer avec leurs collègues, échanger des instructions, régler des problèmes », raconte la copropriétaire de Plastiques GPR, Dany Belleville.

Des cours avant l’arrivée

La consultante de l’agence de recrutement avec qui ils font affaire, Marie-Josée Hébert, leur a proposé de commencer la francisation à distance pendant six mois, pendant l’attente du processus d’immigration. Les frais de ces cours en ligne avec un professeur privé ont été assumés par l’entreprise. Ainsi, le recrutement au Mexique, y compris les cours, a coûté entre 12 000 $ et 15 000 $ par travailleur, affirme Mme Belleville.

Par ailleurs, ces cours ont permis de comprendre qu’une des personnes recrutées — elles étaient quatre au départ — ne s’investissait pas. « On a mis un terme à la démarche. Elle ne se présentait pas toujours, elle arrivait en retard. Ça faisait donc partie du processus d’entrevue, d’une certaine façon », précise la femme d’affaires.

Photo: Adil Boukind Le Devoir Ces trois monteurs-régleurs chez Plastiques GPR suivent un cours de francisation auprès de leur employeur. Ils ont laissé leur femme et leurs enfants derrière eux, mais ils souhaitent qu’ils puissent les rejoindre bientôt.

Après six mois, comme le processus gouvernemental n’était pas encore terminé, l’équipe de Dany Belleville a usé d’imagination pour aider les recrues à conserver leurs acquis. « On a organisé des groupes d’échange avec des employés qui se sont portés volontaires. Tous les mardis soir, on les appelait pour continuer la pratique du français », rapporte Andréanne Blais, partenaire ressources humaines pour l’entreprise.

Quand ils sont finalement arrivés au Québec, en octobre dernier, les nouveaux venus connaissaient quelques mots de français. Les leçons sur place ont débuté, subventionnées par le ministère de l’Emploi du Québec et offertes par le service aux entreprises du Centre de services scolaire des Samares. Le salaire des travailleurs pendant les leçons est aussi remboursé par le gouvernement provincial.

Mais ce n’est pas tout. Plastiques GPR a aussi acheté deux maisons pour les loger. L’entreprise les accompagne dans les dédales administratifs, comme l’assurance maladie, le permis de conduire et l’ouverture d’un compte bancaire. Mme Belleville a même suivi M. Moreno à l’hôpital lorsque ce dernier a souffert d’une appendicite.

Un rêve de vie au Québec

Elle espère donc que les trois recrues, qui avaient déjà de l’expérience dans l’injection plastique, resteront au Québec au-delà de leur contrat de trois ans. « Leur présence permet de mieux servir nos clients et d’optimiser notre production », indique Mme Belleville.

C’est aussi le souhait des principaux intéressés. « C’est la meilleure occasion de notre vie, de travailler dans une bonne entreprise qui demande notre expérience, estime M. Majoral. Le Québec, le Canada, c’est une place meilleure que le Mexique. On veut améliorer la vie de notre famille. »

Il leur reste toutefois certains défis à affronter. Les trois monteurs-régleurs ont tous laissé leur femme et leurs enfants derrière eux, mais ils souhaitent qu’ils puissent les rejoindre bientôt. Vont-ils être capables de se sentir chez eux dans ce milieu rural où ils ne connaissent personne ?

« C’est très accueillant ici. Les gens du village nous appellent les tres amigos. Tous les services sont proches. C’est ce que je dis à ma femme quand je lui parle. Elle ne veut pas que je lui envoie une vidéo de Saint-Félix, parce qu’elle veut tout voir pour la première fois quand elle va arriver », dit M. Majoral.

Pour obtenir la résidence permanente, ils devront réussir un test de français, qui n’est pas réputé pour être facile. Ils mettent toutes les chances de leur côté, en regardant des films, en écoutant de la musique en français, en jouant au Scrabble et en parlant en français entre eux au quotidien.

Avec la volonté du gouvernement caquiste de favoriser principalement une immigration francophone et de rehausser les exigences en français, les entreprises qui veulent garder leurs travailleurs étrangers devront les soutenir très activement, estime la consultante en recrutement à l’étranger Marie-Josée Hébert. « J’ai de la difficulté à m’imaginer qu’on va pouvoir recruter uniquement dans les pays francophones », dit-elle.

Mme Hébert a d’ailleurs convaincu une autre entreprise de Lanaudière, Impack, d’offrir la préfrancisation en ligne pour leurs quatre recrues qui se trouvent toujours au Mexique. Cette entreprise qui usine des machines à fabriquer des emballages en carton vient de s’engager dans un processus en tous points semblable à celui de Plastiques GPR.

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